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Un rêve d’adolescence

Il y a des choses, dans une vie, qu’on a rangées à jamais dans la catégorie des infaisables et des improbables. Parmi celles-ci, voir de ses yeux certains artistes, auteurs, musiciens ou autres, que leur niveau de notoriété rend parfaitement inaccessibles. Je m’étais résignée depuis longtemps à l’idée de ne jamais voir en chair et en os un certain écrivain du Maine que je lis depuis l’âge de seize ans, qui a marqué en profondeur mon imaginaire et dont les livres continuent à me parler et à m’émouvoir vingt ans plus tard.

 

Sauf que.

 

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Stephen King en France pour une semaine, avec des passages radio et télé qui se multiplient mais de rares apparitions publiques. Une soirée au Grand Rex ce samedi, et une dédicace mercredi dernier à laquelle j’ai renoncé non sans regret : en milieu de matinée, on m’apprenait que des centaines de personnes campaient déjà devant le MK2 Bibliothèque. L’année même où je découvrais Dead Zone sur le tard, où je passais une semi-nuit blanche à pleurer à chaudes larmes sur le dénouement de La Tour sombre, sans me douter qu’il serait bientôt en France pour la toute première fois. J’ai beau avoir démythifié les vedettes et les écrivains en particulier depuis des années, le savoir à Paris et avoir raté l’occasion de lui faire signer l’un de ces livres qui ont tellement compté me faisait beaucoup plus d’effet que je n’aurais pu m’y attendre.

 

Et puis un concours de circonstances heureux : une invitation à parler de l’œuvre de King et du thème de la peur dans le cadre de la Matinale du Mouv’. Soit quelques heures à peine avant l’interview qu’il devait accorder à la même radio en présence d’une poignée de lecteurs chanceux. On m’avait prévenu qu’il serait très difficile d’y assister. Et puis, à la dernière minute…

 

Une heure dans un petit studio, à écouter parler un type à lunettes vêtu d’un T-shirt rouge vif, qui s’animait au son des chansons qu’il reconnaissait. Une heure à me dire, sans arriver vraiment à y croire : alors c’est lui ? L’été de mes seize ans passé avec Grippe-Sou le clown et le Club des Ratés, la confession de Dolores Claiborne, « Les Enfants du maïs », le bal tragique de Carrie, les larmes versées sur 22/11/63 et le choc de Misery, ce grand roman sur l’écriture, c’était lui ? Ce type bavard et affable en train de nous raconter qu’un policier l’a laissé filer après un excès de vitesse parce qu’il lui expliquait s’être emballé en écoutant Judas Priest ?

 

Et puis quelques secondes irréelles : un créneau dédicace tout à la fin, juste avant qu’on ne nous fasse quitter le studio. Je me suis à peine rendu compte. Je me souviens d’avoir bredouillé deux phrases en lui tendant mon exemplaire de Misery apporté au cas où. Puis c’était terminé. Je me rappelle bien davantage l’interview que la dédicace elle-même. Il m’était déjà arrivé de me dire, alors même que les dédicaces m’intéressent moins en soi que la rencontre autour, qu’il n’existait qu’un écrivain dont la seule signature sur un livre me ferait quasiment l’effet d’un talisman. Elle orne désormais un roman qui m’a tellement marquée, une lecture de vacances commencée il y a sept ans dans un avion pour Houston, terminée en Louisiane la semaine suivante, et qui ne m’a jamais lâchée depuis. Et j’ai encore du mal à y croire.

 

L’émission à laquelle je participais autour de la peur est en écoute sur le site de la Matinale du Mouv’. Je conseille également l’entretien qui lui est consacré dans La Grande Librairie : il est déjà assez rare que la télé française parle de lui sans tourner en boucle autour des clichés habituels du « Maître de l’horreur ». Alors une interview menée par quelqu’un qui connaît et apprécie réellement son œuvre (et qui présente notamment Dolores Claiborne comme le chef-d’œuvre qu’il est), c’est à marquer d’une pierre blanche.

 

Merci infiniment à l’équipe du Mouv’ grâce à qui j’ai passé, à tous points de vue, une journée vraiment mémorable.

 

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La Tour sombre au bout du chemin

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J’ai longtemps cru ne jamais voir le bout du chemin qui menait à la Tour sombre. Parce que la série était longue, beaucoup trop longue, et que Le Pistolero commencé il y a déjà sept ans ne m’avait pas vraiment emballée. C’était un exercice de style intéressant mais un peu vain, écrit par un jeune Stephen King qui se cherchait encore, et qui n’avait pas l’immédiateté de ses romans fantastiques. Dans une ambiance entre western, post-apo et fantasy initiatique, on y suivait les pas de Roland de Gilead, archétype de héros dur et solitaire, dernier de son espèce dans un monde qui a changé sans lui. Roland qui poursuivait à travers le désert un mystérieux homme en noir et cherchait à atteindre une non moins mystérieuse Tour sombre quasi inaccessible. Roland guidé par des forces qui le dépassaient, obsédé par le ka qui régit le destin des hommes et maintient l’équilibre des mondes.

Les livres suivants le voyaient rejoint par des compagnons appelés dans ce monde en déliquescence depuis différentes versions de New York. Eddie Dean, junkie repenti des années 80, hanté par le souvenir d’un frère aîné qui l’entraînait dans sa déchéance. Odetta Holmes (plus tard rebaptisée Susannah), fille d’une riche famille noire confrontée au racisme ordinaire des années 60, habitée par des personnalités multiples. Et Jake Chambers, enfant des années 70 que Roland avait déjà rencontré et laissé mourir, mais qu’il retrouve pourtant bien vivant. Oy, une étrange bestiole aux comportements presque humains, complète le ka-tet que Roland entraîne dans sa quête de la Tour. Les romans sont souvent trop longs, mais ponctués de scènes et d’images inoubliables. L’errance new-yorkaise d’un Jake aux portes de la folie, perturbé d’être vivant et mort à la fois, juste avant son entrée dans l’autre monde ; un duel de devinettes avec un train robotisé devenu fou ; un village dont les enfants sont enlevés par des cavaliers au masque de loup. Les personnages ont la présence et la complexité communes à la plupart des créations de Stephen King. Roland lui-même est un personnage trouble que son obsession de la Tour conduit à semer la destruction autour de lui, et qui a lui-même conscience de l’égoïsme latent de sa quête. Jake, l’enfant trop vite vieilli, et Susannah aux facettes multiples sont tout aussi marquants. On s’attache à eux comme à des compagnons de route dont les expériences partagées et la proximité de la mort resserrent les liens.

Dans les deux derniers livres intervient un personnage qui tirait les ficelles à l’insu de tous et de lui-même : un écrivain paresseux du nom de Stephen King, qui avait un jour commencé un roman sur un pistolero traquant un homme en noir dans le désert, avant de l’oublier dans un tiroir. Stephen King qui panique en voyant sa propre création venir lui demander des comptes dans sa maison du Maine. Les scènes où Roland et son ka-tet rencontrent King sont jubilatoires, surtout pour qui connaît bien son œuvre. Lui-même ne s’épargne pas et s’accorde un rôle ambigu, entre deus ex machina et pion du ka malgré lui, qui laisse survenir des catastrophes par simple négligence.

Malgré les longueurs, malgré l’ennui ponctuel, malgré l’impression de voir l’intrigue et l’univers se développer de manière foutraque au gré des improvisations de l’auteur, quelque chose fascine dans ce bric-à-brac qui tarde à trouver sa cohérence. L’impression, sans doute, de voir King tourner le dos à des ressorts logiques trop carrés pour céder à des fantasmes d’écrivain. Il mêle des univers et des décors qui ne devraient jamais se rencontrer, fait se téléscoper les époques (chacun des trois compagnons est bien ancré dans celle qui l’a vu grandir : Susannah refuse par exemple de croire qu’un président noir puisse un jour occuper la Maison Blanche). King fait parfois n’importe quoi, mais il se fait plaisir. Une forme d’audace assez réjouissante transparaît par moments, quand bien même la logique de l’ensemble en pâtit.

Et puis il y a le dernier livre, la dernière partie du chemin. La Tour sombre est à portée de main. Ni les personnages, ni le lecteur, ni même l’auteur ne sont prêts, et pourtant elle approche. Comme on pouvait s’y attendre, la victoire à portée de main commence à prendre un goût amer. Et soudain, sur la dernière moitié, tout s’emballe. Je crois avoir rarement été bouleversée à ce point par la fin d’un livre, ni surtout par tout ce qui la précède. L’ambiance devient pesante, les drames s’enchaînent sans retour possible. Roland voulait la Tour, c’était la quête de toute sa vie – mais que se passera-t-il s’il l’atteint réellement ? À ce stade, l’empathie avec les personnages, et même avec l’auteur contraint de les laisser partir, devient presque douloureuse. King parvient à faire ressentir, avec une précision vraiment étonnante, la sensation écrasante de voir approcher ce qu’on a poursuivi toute une vie. J’ai toujours cru que le dénouement, après une telle attente, ne pouvait être que décevant ; au contraire, il est vertigineux, et éclaire tout ce qui a précédé sous un jour inattendu. On referme ce dernier livre le cœur lourd, mais émerveillé comme on l’a rarement été même chez King. On perçoit à travers les pages la tristesse et l’incrédulité qui ont dû être les siennes en écrivant les derniers mots d’une saga qui l’a accompagné pendant plus de trente ans de sa vie. Et on se rappelle une fois de plus pourquoi il est l’un des écrivains qui auront le plus profondément marqué la nôtre.

La route a été longue, mais elle me manque déjà. « The man in black fled across the desert, and the gunslinger followed… »

 

 

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