Blog : catégorie Jeu vidéo

Ici les rues sont vides

Ici les rues sont vides
Et la brume les noie,
Le silence est fétide
Et le jour aux abois,
La nuit se fait livide
Et propice à l’effroi,
Les heures mêmes sont perfides
Qui glissent entre vos doigts.

Parfois le long des murs
J’entends se faufiler
D’informes créatures
Aux sanglots de damnés,
Leur chair contre nature
Atrocement marquée
Par de sombres tortures
Et d’infâmes secrets.

Tous ici nous fuyons,
Tous ici nous sommes seuls.
La ville se fait prison,
La ville se fait linceul
Pour qui a ses démons.

Dans les couloirs déserts,
L’homme au couteau tranchant
Et au casque de fer
Me suit d’un pas traînant.
Sa lame justicière
Ne désire que mon sang.
Ô bourreau des enfers,
Jugez-moi innocent !

Ici, les gens m’accusent
Et ma mémoire vacille.
Car la ville a ses ruses :
Le déni se fendille
Et les hurlements fusent
Quand la radio grésille
Dans les maisons recluses,
Et l’esprit part en vrille.

Tous ici nous crions,
Tous ici nous sommes seuls.
La ville perd la raison,
La ville se fait linceul
Pour qui fuit ses démons.

C’est pour mieux me mentir
Qu’ici j’ai pourchassé
L’écho des souvenirs
De mon amour brisé.
Mais l’oubli se déchire,
Il me faut l’affronter :
Oui, j’ai commis le pire.
Je suis son meurtrier.

 

C’est en écoutant « Fantaisie héroïque », la géniale chanson de Juliette sur les jeux vidéo, que m’est venue l’idée d’essayer de rendre hommage à un jeu qui m’a beaucoup marquée. Il fallait forcément que ce soit Silent Hill 2, que je considère (pour ceux qui ne m’ont pas encore entendue radoter sur le sujet) comme un authentique chef-d’œuvre du genre fantastique et une expérience vidéoludique vraiment unique.

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“Layers of Fear” ou la maison devenue folle

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Dans ma quête du jeu vidéo fantastique parfait, ma grande joie et ma grande frustration aura été de croiser sur mon chemin la série des Silent Hill il y a cinq ans. Série qui touche pour moi à une telle forme de perfection (dans ses trois premiers épisodes en tout cas) qu’elle allait devenir une sorte d’obsession, ainsi que l’œuvre à l’aune de laquelle je devais juger tous les autres jeux – ce qui, très souvent, revient à regarder une honnête série B en espérant vainement y retrouver des échos d’un chef-d’œuvre incontesté. Ce que j’ai trouvé d’indicible et de fascinant dans les rues embrumées et les couloirs torturés de Silent Hill, je croyais ne plus jamais le rencontrer dans un jeu.

Jusqu’à ce qu’on me conseille Layers of Fear.

Pour évacuer le sujet d’emblée, la principale réserve que j’émettrai à l’encontre de ce jeu est qu’il arpente un territoire que Silent Hill a déjà défriché ; la plupart des effets, pris séparément, y ont déjà été explorés. Le jeu m’a semblé beaucoup s’inspirer de la série, et notamment de la terrifiante démo jouable de l’épisode abandonné qui aurait dû être réalisé par Guillermo Del Toro et Hideo Kojima, démo où le joueur tournait en boucle dans un appartement qui se métamorphosait peu à peu. Le gameplay de Layers of Fear en est assez proche : caméra subjective, décor unique dont on guette les transformations successives et où l’on cherche les objets, gestes et autres déclencheurs qui font avancer le jeu en dévoilant l’histoire. Le décor est ici la maison d’un peintre où il semble que quelque chose se soit produit – quelque chose de dramatique et de terrifiant comme il se doit. Les murs sont chargés de tableaux, des objets oubliés ici et là suggèrent un contexte qui se précise peu à peu : alcoolisme, blocage créatif, problèmes conjugaux et le spectre omniprésent de la folie.

Au terme d’une première exploration de la maison, le joueur, placé face au tableau que le peintre a laissé inachevé dans son atelier, bascule soudain dans un cauchemar éveillé. Le voilà qui erre dans une enfilade de pièces qui se succèdent dans un ordre aléatoire ; on peut quitter une pièce, franchir la porte en sens inverse et se retrouver face à un nouveau décor. Les phénomènes surnaturels s’y multiplient : chutes d’objets, métamorphoses du décor autour de nous, aberrations architecturales, cris, sanglots et bruits divers qui sont autant d’échos d’un passé traumatique. Tout est fait pour déstabiliser le joueur, qui sait constamment que les choses vont déraper sans jamais savoir par où la hantise va surgir.

Plus on progresse dans le jeu, plus la folie du peintre contamine le décor, devenu un miroir de sa psyché torturée. Motif propre à Silent Hill, là encore, mais que j’avais rarement vu exploré aussi efficacement ailleurs, jusque dans la bande-son qui suggère un hors-champ terrifiant. Le malaise que suscite le jeu m’a rappelé, par moments, celui que m’inspirent les tableaux de Jérôme Bosch (l’un des rares peintres dont je sois incapable de regarder les œuvres). Peu à peu, l’architecture elle-même devient folle : meubles collés au plafond, pièce qui s’ouvrent sur de nouvelles dimensions lorsqu’on lève les yeux, passages cachés dans des recoins improbables (comme dans ce bureau décoré d’un portrait dérangeant, où la sonnerie lancinante d’un téléphone s’échappe d’un passage secret qu’il faut localiser).

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L’un des reproches formulés par certains joueurs est le manque de défi proposé, les actions se bornant souvent à ouvrir des tiroirs et explorer les pièces pour trouver des objets qui nous révèleront de nouveaux fragments de l’histoire. Un aspect que, pour ma part, je n’ai pas trouvé dérangeant, car le challenge dans un jeu vidéo m’intéresse beaucoup moins que la découverte de l’intrigue et le fait de vivre l’expérience du jeu jusqu’à son terme. Dans un jeu aussi oppressant et angoissant, qu’on s’efforce de finir le plus vite possible pour s’échapper de ce cauchemar, une relative facilité me semble même plutôt bienvenue. Le jeu lui-même est bref mais très dense, notamment par la variété des effets ; il se répète extrêmement peu. Partant de là, on sait que tout devient possible : illusions d’Escher, visions infernales, dessins d’enfant qui envahissent les murs, fantômes, poupées et tableaux dans tous les recoins, décors qui se modifient derrière votre dos, murs qui fondent ou se désagrègent, disques joués à l’envers pour mieux vous hérisser, et j’en passe.

Le résultat est un jeu qui vous maintient dans un état d’anxiété constante et vous offre des moments de trouille authentique comme je n’en avais jusque-là connu que dans Silent Hill. Pas celle qui repose sur les effets de surprise (quoique les jump scares soient ici assez malins) mais celle qui vous prend aux tripes, née de l’impression de profonde anomalie qui suinte des murs et vous donne l’impression de toucher la folie du doigt, d’explorer les méandres d’un cerveau dérangé. Si l’histoire et son dénouement restent relativement classiques, le travail sur la peur et l’étrangeté est d’une finesse que j’ai rarement vue ailleurs. Il manque sans doute un petit quelque chose qui en ferait un chef-d’œuvre mais l’ambiance, la mise en scène et le sens du détail font de Layers of Fear un voyage intense et dérangeant, à déconseiller absolument aux âmes sensibles.

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Life is Strange

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À la sortie du premier épisode l’an dernier, j’avais vu décrire Life is Strange comme l’équivalent vidéoludique de certains films indé estampillés Sundance, doté qui plus est d’une bande-son irréprochable ; une approche intrigante dans un domaine où la grande majorité des jeux tablent sur des concepts et des ambiances plus spectaculaires. De fait, Life is Strange propose une expérience de jeu assez unique, rappelant certains films à petit budget qui choisissent d’ancrer des thématiques SF ou fantastiques dans un décor on ne peut plus quotidien, en mettant davantage l’accent sur les personnages que sur les effets spéciaux. Mais si le procédé est connu au cinéma, je crois n’avoir encore jamais vu ça, traité en tout cas de cette manière, dans un jeu vidéo.

Le joueur incarne ici Maxine Caulfield, dite Max, une adolescente en pleine quête d’identité qui revient dans sa ville natale d’Arcadia Bay pour y suivre des études de photographie. Au terme d’un joli plan-séquence dans les couloirs de la fac, évoquant le générique d’un des film indés mentionnés plus haut (musique rêveuse comprise), Max est témoin d’un meurtre dans les toilettes des filles : un étudiant armé d’un pistolet tue sous ses yeux une jeune fille aux cheveux bleus. Max se découvre alors le pouvoir de remonter le temps et d’influencer différemment, si elle le souhaite, le cours des choses. Elle rejoue la scène jusqu’à parvenir à empêcher le meurtre. Un peu plus tard, Max retrouve la jeune fille aux cheveux bleus qu’elle a sauvée et reconnaît Chloe, son amie d’enfance, qu’elle n’avait pas revue depuis cinq ans. Chloe qui n’a pas eu la vie facile pendant ces cinq années, entre la mort de son père et l’arrivée d’un beau-père qu’elle déteste, et qui s’est endurcie. Chloe s’inquiète de la disparition de son amie Rachel, dont les avis de recherche fleurissent sur les murs de la fac, et persuade Max de mener l’enquête avec elle.

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Tout au long des cinq épisodes, Life is Strange jongle avec différents fils d’intrigue qui évoluent selon trois axes distincts. Un axe porté sur la SF tendance physique quantique, avec la découverte par Max de son pouvoir et des ramifications de ses choix (une référence à Code Quantum dans une des scènes m’a d’ailleurs fait sourire). Un axe plus policier, avec le mystère entourant la disparition de Rachel. Et un axe plus psychologique, sans doute le plus réussi du jeu : on fait petit à petit connaissance avec Max et Chloe, mais aussi avec les autres étudiants du campus et les adultes qui évoluent autour d’eux. Chacun a son histoire, son rôle à tenir dans l’intrigue. Chloe en particulier, avec sa dégaine punk, sa rage adolescente et son franc-parler, est le personnage le plus marquant et le plus attachant. Plus le jeu avance et plus la relation d’amitié qui la lie à Max devient un ressort essentiel de l’intrigue.

On pense en cours de jeu à toute une foule de références, parfois ouvertement assumées, en tout cas parfaitement digérées. L’effet papillon pour le don de Max et la façon dont les choix effectués modifient le futur des personnages. Veronica Mars pour l’enquête en milieu scolaire, la présence d’une famille riche qui fait la loi sur le campus, et la finesse des relations entre les personnages (ainsi que pour d’autres éléments vers la fin, plus troublants dans leur similitude, que je ne peux pas révéler). Twin Peaks ou Donnie Darko pour l’étrangeté qui s’insinue dans le quotidien d’une petite ville. Buffy pour l’apprentissage de la responsabilité et l’entrée dans l’âge adulte. Ou, plus surprenant, la série des Silent Hill lors d’une séquence vraiment flippante du dernier épisode. Mais le jeu possède une identité bien à lui, grâce à son ambiance douce-amère et à l’originalité du parti-pris. Par ailleurs, il a le bon goût de ne pas se répéter d’un épisode à l’autre. À partir de la fin du troisième volet, il prend une dimension totalement inattendue qui offre quelques passages assez bluffants sur un plan narratif, notamment dans le tout dernier épisode à la construction vraiment brillante et originale.

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Life is Strange m’a semblé réussir, avec davantage de subtilité, ce que Heavy Rain se targuait de proposer : une expérience unique qui agit sur les émotions du joueur en l’impliquant profondément dans l’histoire. Heavy Rain, malgré son efficacité qui me l’avait fait dévorer d’une traite, m’est apparu avec le recul comme un jeu profondément malhonnête dans son scénario et assez lourd dans ses effets. Ici, le jeu sur les choix moraux auxquels Max se retrouve confrontée nous emmène parfois très loin. Il n’y a souvent ni « bon » ni « mauvais » choix, simplement des chemins différents à emprunter, des actes aux conséquences imprévisibles. La fin du deuxième épisode pousse les choses assez loin, lorsque Max cherche à empêcher un drame qu’elle aurait sans doute pu anticiper : tout était sous nos yeux. Ses actions sont lourdes de conséquences et le joueur qui, comme moi, n’est pas parvenu à changer le cours de l’histoire en garde un sentiment de culpabilité au-delà de la fin de l’épisode, comme s’il avait échoué à aider quelqu’un dans la vie réelle. Au point de souhaiter, comme Max tout au long du jeu, revenir en arrière pour changer le cours des choses.

Si je devais formuler quelques reproches, ce seraient d’abord un premier épisode un peu longuet qui m’avait fait lâcher le jeu pendant des mois (pour enchaîner ensuite les quatre autres en quelques jours) : trop d’éléments à explorer d’un coup, dont peu ont une réelle incidence sur l’intrigue, et l’impression par conséquent d’avancer trop lentement. On s’amusera d’ailleurs de constater qu’on peut allègrement fouiller la chambre des autres personnages sous leurs yeux, voire consulter leurs mails sur leur ordinateur, sans qu’ils paraissent s’en offusquer. Autre reproche, une légère tendance à la manipulation du joueur, notamment lors d’une des plus belles scènes du jeu, au début de l’épisode 4, une scène qui vous prend à la gorge et vous fait comprendre à quel point vous vous êtes attaché aux personnages, mais qui est poussée un peu trop loin et gâche légèrement l’effet. Et, plus regrettable, le tour assez cliché que prend l’intrigue policière dans l’épisode final ; d’autant plus dommage que le jeu prouvait jusque-là avec brio qu’on pouvait se reposer sur des ressorts narratifs subtils sans déballer l’artillerie lourde et les retournements habituels. Séquence qui m’a rappelé l’agacement éprouvé devant l’intrigue conspirationniste inutile de Sense 8, magnifique série par ailleurs, comme si  les créateurs (dans les deux cas) n’avaient pas osé assumer leur parti-pris intimiste jusqu’au bout et s’étaient sentis contraints de recourir à des ficelles censées parler au grand public.

Ces réserves s’effacent au final face à la richesse du jeu, à la finesse de son écriture et à l’épaisseur de ses personnages. Mention spéciale aussi à la musique : outre la jolie B.O. signée par Jonathan Morali (Syd Matters), on ne peut qu’aimer un jeu dont les personnages dansent sur le sublime Piano Fire de Sparklehorse, et où In My Mind d’Amanda Palmer, qui parle du fait de s’accepter tel qu’on est plutôt que tel qu’on se rêve, apparaît dans une magnifique séquence-clé qui fait directement écho aux paroles. On termine Life is Strange avec la nostalgie des heures passées à Arcadia Bay en compagnie de Max et de Chloe. C’est un jeu dont on sait qu’on se souviendra longtemps. Et un jeu qui marquera sans doute une page, sans tambours ni trompettes, dans l’histoire du jeu vidéo.

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Gabriel Knight ou l’histoire secrète du vaudou

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L’un des grands drames de ma vie de gameuse aura été de n’avoir pas joué, ou si peu, lors d’une partie des années 90 qui s’avère avec le recul extrêmement féconde pour le type de jeu qui me parle le plus. L’une de mes grandes joies aura logiquement été de découvrir ensuite qu’il n’était pas trop tard pour combler certains manques, que ce soit à travers le retrogaming (qui me permit récemment de mourir à répétition dans Alone in the Dark), la compatibilité de vieux jeux avec les machines actuelles (qui me permit de tomber dans Silent Hill pour n’en jamais ressortir), l’existence d’un site comme gog.com (qui me permit de perdre quelques soirées récentes dans le Populous de mon adolescence) ou la remasterisation de certains classiques.

J’entretenais déjà une vague curiosité pour la série des Gabriel Knight, incontournable du point & click fantastique, avant de me rendre compte que le premier volet se situait à La Nouvelle-Orléans et tournait autour du vaudou. Deux raisons pour lesquelles je ne pouvais pas faire l’impasse sur ce jeu, d’autant qu’il était ressorti il y a quelques années dans une version anniversaire modernisée avec grand soin.

Gabriel Knight est un écrivain et libraire installé à Bourbon Street, beau gosse un peu futile, séducteur pas toujours subtil, qui collabore avec la police sous couvert de recherches pour un prochain roman et se retrouve à enquêter sur une série de meurtres évoquant des sacrifices vaudous. Enquête qui lui fera parcourir La Nouvelle-Orléans, avec un détour par l’Allemagne et le Bénin, pour rencontrer une galerie de personnages solidement campés et tomber amoureux de la riche et belle Malia Gedde, issue d’une éminente famille de la ville dont l’histoire se révèlera intimement liée, comme celle de Gabriel, à l’enquête en cours.

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Si le scénario n’évite pas quelques clichés (l’histoire familiale de Gabriel est un peu trop classique), et si la relation entre Gabriel et Malia aurait gagné à être approfondie pour que la dernière partie du jeu prenne toute sa mesure, on se laisse très vite embarquer par un scénario riche et prenant, une réalisation soignée et un background vraiment fouillé. L’ambiance de La Nouvelle-Orléans est joliment rendue ; le jeu parcourt un certain nombre de lieux emblématiques de la ville (Jackson Square, le lac Pontchartrain, le cimetière Saint-Louis et la tombe de la prêtresse vaudou Marie Laveau) avec une vraie attention aux détails, comme ces poteaux coiffés de têtes de chevaux qui bordent les rues du Quartier français dans l’un des tableaux. C’est d’ailleurs un peu déroutant au départ, quand on a visité certains de ces lieux, de les redécouvrir sous forme de graphismes.

Les personnages sont particulièrement réussis, tous très typés, avec des dialogues savoureux, et possèdent chacun son propre rapport à la ville, à son histoire, aux événements en cours. On s’attarde avec plaisir à explorer toutes les options de dialogue lors de chaque rencontre, moins pour faire avancer l’enquête que pour apprendre un peu mieux leur histoire. Ainsi, chacun a une approche différente du vaudou, depuis l’universitaire spécialisé dans les religions africaines jusqu’au conservateur de musée, en passant par le commerçant taciturne qui nie catégoriquement que ses plantes et gris-gris aient le moindre lien avec ces pratiques. Selon la personne qu’on interroge, Marie Laveau sera par exemple décrite comme une figure centrale de l’histoire de la ville ou un « attrape-touriste » qui ne sert qu’à masquer une réalité secrète. Le jeu possède un petit côté « Le vaudou pour les nuls » très agréable pour qui s’intéresse un tant soit peu au sujet, et passe en revue aussi bien ses origines historiques que la nature des rituels ou le nom des différents loas (l’enquête tournant beaucoup autour de deux d’entre eux, Damballah et Ogoun Badagris). L’humour pince-sans-rire et souvent très drôle de la voix qui commente les actions de Gabriel contribue également beaucoup à l’ambiance du jeu.

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Le jeu a également le bon goût de proposer un système d’indices permettant d’orienter le joueur sur des pistes qu’il aurait ignorées ; c’est qu’on se retrouverait rapidement coincé sans un coup de main de temps à autre, certaines étapes-clé du jeu étant un poil capillotractées, comme cette visite à une vieille dame qui ne vous laissera entrer que si vous avez eu la judicieuse idée de voler le col d’un prêtre dans la cathédrale Saint-Louis pour vous déguiser en prêtre à votre tour.

Tel qu’on le découvre dans cette version remasterisée, dont j’ignore dans quelle mesure elle reflète l’original, Gabriel Knight : Sins of the Fathers confirme en tout cas sa réputation de classique du genre : prenant de bout en bout et très riche aussi bien dans son écriture que dans son ambiance soignée et sa galerie de personnages mémorables. Un incontournable qui contribue à me rendre encore plus nostalgique d’une époque de l’histoire du jeu vidéo que je regrette d’avoir laissé passer, faute d’avoir eu la bonne machine au bon moment, mais que je prends encore plus de plaisir à redécouvrir avec le recul. Une vraie pépite, en tout cas, que je recommande chaudement aux amateurs de jeux d’aventure fantastiques très axés sur l’intrigue et la narration.

 

 

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Blackwell ou les fantômes de la solitude urbaine

blackwell2C’est au cours de mon exploration du domaine des point’n click à thématique fantastique que j’ai découvert The Blackwell Legacy et ses suites : une série de cinq jeux qui ne paient pas de mine au premier abord mais laissent une empreinte durable sur le joueur. Les graphismes sommaires et le gameplay classique commencent par laisser l’impression d’un jeu anecdotique quoique très agréable ; mais à mesure que l’intrigue progresse, on comprend qu’on se trouve face à une série possédant une réelle sensibilité et un vrai sens du récit.

À la mort de la tante qui l’a élevée, Rosangela Blackwell hérite d’un encombrant cadeau, un esprit nommé Joey, à l’humour pince-sans-rire et à la dégaine de détective privé façon Bogart, qui ne la lâche pas d’une semelle. Comme d’autres femmes de sa famille avant elle, Rosa n’a d’autre choix que d’accepter la mission qui est désormais la sienne : en compagnie de Joey, elle traque les fantômes perdus dans New York afin de les libérer en leur faisant prendre conscience de leur propre mort. Une mission qui va donner un sens à sa vie jusque-là très solitaire, mais qui n’est pas sans prix ; c’est ce même don qui a coûté à sa tante sa santé mentale.

Là où la série Blackwell pèche au niveau du graphisme (encore que ce côté « old school » soit finalement assez agréable), elle compense par la finesse de l’écriture mais aussi de l’interprétation. Les acteurs qui prêtent leur voix aux personnages sont tous très bons, avec une mention spéciale pour le duo Rosa/Joey dont les dialogues savoureux sont pour beaucoup dans le charme de la série. Dialogues souvent très vivants et remplis d’humour, même lorsqu’ils masquent une réalité plus mélancolique ; dans l’un des premiers jeux, on sourit lorsque Rosa, qui vient de prendre sa toute première cuite lors d’un vernissage, se voit rappeler ses « exploits » le lendemain par chaque personnage qu’elle croise. C’est une série qui, en filigrane, parle beaucoup de solitude. Celle des vivants perdus dans l’immensité new-yorkaise qui ne parviennent ni à y trouver leur place ni à accomplir leurs rêves, mais aussi celle des morts qu’il faudra, à force de persuasion, faire sortir du déni. L’un des aspects les plus poignants du jeu est ce gimmick subtil chaque fois qu’un fantôme prend conscience de sa nature : quelques secondes de silence suivies par un « Oh » lourd de sens.

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Le gameplay inventif permet d’alterner entre les deux personnages, Joey ayant accès à tous les lieux de par sa nature de fantôme là où Rosa est la seule à pouvoir agir sur les objets. Les cinq jeux sont courts, relativement faciles et vite pliés, et nécessitent d’être joués dans l’ordre, bien qu’ils présentent des intrigues a priori indépendantes : on y voit peu à peu l’univers s’affiner, les personnages apprendre à se connaître. L’appartement de Rosangela se remplit de souvenirs de ses enquêtes précédentes, les personnages secondaires d’un jeu reviennent dans les suivants, leur rôle dans le tableau d’ensemble se précise. Le deuxième jeu, Blackwell Unbound, se présente même comme une parenthèse dans le récit puisqu’on y incarne Lauren Blackwell, la tante de Rosa, du temps de sa jeunesse, alors qu’elle-même enquêtait aux côtés de Joey. Outre la mythologie propre qu’il développe, le jeu puise aussi dans le folklore new-yorkais, notamment à travers des figures réelles comme l’excentrique Joe Gould.

Le dernier jeu, The Blackwell Epiphany, tranche légèrement par sa longueur, mais aussi par la densité de l’intrigue. C’est là que tous les éléments se rejoignent pour une conclusion en apothéose, par les évènements du final comme par les émotions qu’il réveille. La fin est douce-amère, plus amère que douce d’ailleurs, mais très belle et bien plus poignante que le tout début de la série ne l’aurait laissé attendre. La boucle est bouclée, le voyage n’a pas laissé les personnages indemnes, le joueur pas tout à fait non plus, mais l’aventure a été belle. La série Blackwell est de ces jeux façon Tardis, plus grands à l’intérieur qu’à l’extérieur, qui valent presque autant pour les souvenirs qu’ils vous laissent après coup que pour le plaisir qu’ils procurent en cours de route. Une très jolie découverte.

 

 

 

 

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