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Ethan Carter ou l’énigme d’une disparition

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Voilà un moment que je n’ai pas parlé ici de mes aventures vidéoludiques ni de ma quête du jeu fantastique parfait (forcément vouée à l’échec puisque Silent Hill 2 est déjà derrière moi). J’aurais pu évoquer ce monument de bizarrerie qu’est Catherine, ou la très jolie série formée par The Blackwell Legacy et ses suites. Mais c’est The Vanishing of Ethan Carter qui m’a donné envie de reprendre le clavier. Le joueur y incarne Paul Prospero, enquêteur de l’étrange et du surnaturel, capable de reconstituer le déroulement d’un crime à partir de visions qui surviennent lorsqu’il se trouve sur les lieux. Il est appelé à Red Creek Valley pour résoudre le mystère de la disparition d’un jeune garçon, Ethan Carter, avec lequel il a correspondu et qui savait, nous apprend Paul, beaucoup trop de choses pour son âge.

Le jeu se présente comme une lente promenade dans des paysages baignés d’une douce lumière automnale qui donne envie de s’arrêter pour admirer le décor. Paul Prospero ne croisera personne au cours de son enquête : la ville est déserte, les bâtiments abandonnés, mais hantés par le souvenir d’événements violents. Parfois, on découvre un élément pas tout à fait à sa place, un objet abandonné, une trace de sang, qui permettent au joueur, à travers des visions oniriques, de retracer les événements qui se sont déroulés dans la ville. C’est l’une des plus belles idées du jeu, aussi simple dans sa conception qu’elle est passionnante dans son exécution. On prend un grand plaisir à reconstituer la chronologie des scènes spectrales que l’on voit apparaître sur les lieux des crimes. D’autant que le jeu se targue de ne pas prendre le joueur par la main et le laisse découvrir par lui-même la marche à suivre ; la résolution de la première scène de crime procure un plaisir de jeu immense. C’est aussi à mon sens l’une des faiblesses du gameplay, car on peut facilement passer à côté d’énigmes dont la résolution est essentielle à l’intrigue, pour devoir ensuite refaire tout le chemin en sens inverse. J’avoue m’être souvent référée à la solution pour terminer le jeu, pas tant parce que je séchais sur une énigme que par peur de rater une étape cruciale.

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The Vanishing of Ethan Carter frappe aussi par son ambiance contemplative, plus mélancolique qu’effrayante, qui invite le joueur à prendre son temps. D’autant que le jeu a d’ailleurs le bon goût d’être très court : on peut le terminer sans mal en une petite semaine. Le réalisme des graphismes accentue cette impression de promenade paisible, que la menace sourde que l’on sent poindre sous la surface ne gâche jamais tout à fait. Petit à petit, on découvre le passé de ces lieux, les différents protagonistes d’un drame dont on ne comprendra réellement les enjeux que lors du dénouement. J’ai été impressionnée également par la finesse d’un scénario qui se fait passer pour moins subtil qu’il ne l’est en réalité, quitte à jouer sur des clichés qui ont parfaitement leur raison d’être. À la veille de terminer le jeu, j’aurais dit que l’intrigue était son point faible. J’ai changé d’avis en découvrant la fin belle et mélancolique à laquelle j’ai beaucoup repensé depuis, et qui éclaire sous un jour nouveau un scénario plus audacieux qu’il n’y paraît au départ.

Le jeu m’a curieusement rappelé Alan Wake, relative déception dont The Vanishing of Ethan Carter prend en quelque sorte le contrepied. Le premier se faisait passer pour plus intelligent qu’il ne l’était. Le second offre une splendide variation à partir d’éléments communs, beaucoup plus finement utilisés ici. Ils sont toutefois très différents dans leur forme : Alan Wake reposait beaucoup plus (beaucoup trop) sur l’action là où Ethan Carter est un point’n’click qui fait appel à l’intuition beaucoup plus qu’aux réflexes. Sans doute le type de gameplay qui me parle le plus, et que je compte explorer davantage (notamment à travers Gabriel Knight : Sins of The Fathers que je viens de commencer).

Sur le papier, ça semblait un jeu parfait pour moi ; sur écran, c’est une très jolie surprise, et un incontournable pour ceux qui s’intéressent comme moi aux jeux fantastiques plus axés sur la narration que sur l’action. Une belle expérience dont le souvenir continue à vous accompagner ensuite.

 

 

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Pour une cinémathèque du jeu vidéo

C’est à l’occasion de la préparation du documentaire  Fantasy Stars que j’avais appris l’existence de l’association  MO5.com, qui se consacre à la préservation du patrimoine vidéoludique. Ils étaient l’an dernier reponsables de l’expo Game Story au Grand Palais, qui retraçait l’histoire du jeu vidéo depuis Pong, Pacman et Donkey Kong jusqu’à Assasin’s Creed et World of Warcraft en permettant aux visiteurs de tester d’anciens jeux sur divers supports qui étaient parfois de vraies pièces de collection (consoles anciennes, bornes d’arcade, et un Amstrad identique à mon premier ordinateur sur lequel tournait Barbarian II pour ceux à qui ça parle).

 

Dans la lignée de ce genre d’initiatives, MO5 développe depuis quelques années un projet de cinémathèque du jeu vidéo – projet ambitieux, nécessaire et unique en son genre. L’association vient de mettre en ligne un reportage consacré au sujet, auquel j’ai participé à Japan Expo en compagnie d’autres intervenants venant du monde du jeu vidéo ou d’ailleurs : Dédo, Florence Di Ruocco, Florent Gorges, Grégoire Hellot, Jonathan Fourcade, Le Joueur du Grenier, Laurent Charrier, Marcus, Matt Murdock, Rafik Djoumi, Thierry Falcoz, Yoshihisa Kishimoto et Yvan West Laurence.

 

 

 

 

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Alan Wake

Sur le papier, Alan Wake était fait pour moi : un jeu fantastique très inspiré par Stephen King, tournant autour du thème de l’écriture, et qui fait référence aussi bien à L’Antre de la folie qu’à Twin Peaks. Je lorgnais déjà dessus lorsque j’ai dû choisir entre xBox et PS3, et j’ai sauté sur l’occasion quand le jeu est ressorti tout récemment sur PC. De quoi poursuivre mon exploration du domaine des jeux-à-faire-peur.

Le problème, en l’occurrence, c’est que j’ai été déformée par la pratique des Silent Hill, qui rend terriblement exigeant en matière d’ambiance, de personnages, de scénario et d’approche du fantastique. De ce point de vue, Alan Wake m’a un peu déçue. Le jeu commence assez fort, avec une belle ambiance à la Twin Peaks dans la découverte de la ville où Alan Wake, écrivain d’horreur en panne d’inspiration, vient passer ses vacances avec sa femme Alice. Laquelle disparaît dans d’étranges circonstances. Alan perd les souvenirs de toute cette semaine-là, la police refuse de le croire, et il découvre des pages d’un manuscrit qu’il ne se rappelle pas avoir écrit, mais qui détaille les événements qu’il est en train de vivre. Il se retrouve alors traqué par une « ombre noire » qui vit dans les ténèbres et cherche à l’empêcher de retrouver Alice.

Le système de combat adopté est assez original. Il reprend les codes des jeux de survival horror, mais en y ajoutant une dimension inédite à travers un jeu sur l’ombre et la lumière. Les possédés que l’ombre envoie tuer Alan ne peuvent exister que dans le noir, et ne peuvent être détruits que lorsqu’on a affaiblit leurs défenses en braquant une torche sur eux. J’ai trouvé les combats assez envahissants au fil du jeu, sans doute parce que je préfère la dimension aventure à l’action, mais la mécanique m’a semblé très astucieuse. Il y a quelques beaux combats épiques : contre une tornade, une nuée d’oiseaux tout droit sortie de chez Hitchcock, ou contre une armée de possédés sur une scène de concert rock bâtie dans un champ isolé par deux frères qui se prennent par des dieux nordiques. Mais les combats plus ordinaires qui constituent l’essentiel du jeu m’ont semblé ne servir qu’à rallonger artificiellement la durée du jeu en empêchant le scénario d’avancer.

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Sur le scénario lui-même, je suis partagée. Il est plutôt bon dans l’ensemble, et donne lieu à quelques très belles scènes. Mais je l’ai quand même trouvé assez basique, presque hollywoodien par moments. Les personnages ont très peu d’épaisseur. Les pages du manuscrit que ramasse Alan ne sont finalement qu’un gimmick qui ne débouche sur rien – d’autant qu’elles sont très mal écrites, ce qui est dommage pour un personnage inspiré par Stephen King. J’ai eu l’impression de voir un de ces romans écrits « à la King » par des auteurs moins doués qui croient pouvoir faire l’économie de toute la dimension humaine et psychologique de ses écrits. Tout ce qui touche à l’écriture dans Alan Wake est finalement assez bateau, et j’en suis la première frustrée. Il y a une scène vraiment belle et inventive qui joue sur ce thème, et où il faut faire réapparaître des objets figurés par des mots tapés à la machine, mais elle n’arrive que vers la fin. On croise toutefois dans les derniers épisodes un personnage vraiment savoureux, inspiré par la « femme à la bûche » de Twin Peaks, qui réintroduit un grain de folie bienvenu dans le jeu.

Je crois que ce que j’ai préféré, en fin de compte, est tout ce jeu sur les ombres et les lumières, avec de jolies variations. Une fois qu’on a intégré les règles, on se retrouve désemparé chaque fois qu’elles sont brisées : lorsqu’une course-poursuite avec la police les inverse (la lumière des hélicoptères représente alors le danger, et l’ombre la sécurité), où lorsqu’on se retrouve à courir plusieurs minutes à l’abri de la lumière du jour en se doutant bien que ça ne va pas durer. Si le jeu avait été plus condensé, il aurait pu être d’une belle densité, et les scènes les plus réussies y auraient gagné en impact. En l’état, j’ai eu l’impression de voir un jeu étiré sur une longueur artificielle par rapport à ce qu’il a réellement à offrir. Je le conseillerais tout de même aux amateurs de jeux fantastiques, tout en précisant que je ne suis sans doute pas une joueuse représentative : je suis beaucoup plus intéressée par le scénario et l’ambiance que par le challenge. Sans doute les joueurs plus amateurs de défis (et moins exigeants sur le fantastique et le thème de l’écriture) seront-ils d’un autre avis.

 

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Bal populaire à Silent Hill

Je dois la découverte musicale la plus inattendue de la semaine à mes amis Michelle et Claudio, traducteurs sudistes chez qui j’ai passé quelques jours en villégiature. Un groupe de bal populaire toulousain qui fait danser le public sur une base de danses classiques (mazurkas, scottish) aussi bien que de rondes et de farandoles : sur le papier, ce n’était pas trop ma came. Quelques morceaux écoutés sur disque ne m’avaient pas totalement convaincue. La surprise n’en fut que plus belle dimanche soir, où j’ai vu Bombes 2 Bal jouer en plein air dans le village médiéval de Castelnau-de-Montmiral. J’ai toujours une légère méfiance vis-à-vis des groupes qui cherchent à impliquer activement le public : ça peut très vite sonner faux et plomber un concert. Mais rien de ça ici. C’est un spectacle populaire dans le meilleur sens du terme : convivial, festif et chaleureux, avec une vraie qualité musicale pour soutenir le tout. Le groupe a une sacrée énergie, vraiment communicative, et l’une de leurs meilleures idées consiste à laisser un couple de danseurs évoluer dans le public tout au long du spectacle pour guider les pas de danse. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas facile à faire danser – non que je n’aime pas ça, mais il faut que je tombe sur la bonne musique au bon moment, et j’ai une sainte horreur des tubes des années 80 censés faire danser les foules. Mais ce bal populaire-là est franchement irrésistible (deux jours plus tard, mes mollets s’en ressentent encore douloureusement). Si vous voyez Bombes 2 Bal passer près de chez vous un de ces jours, foncez. Sans hésiter.

 

 

 

Quelques mots sur Silent Hill 3 pour poursuivre la saga, en attendant de recevoir The Room. Plus j’avance dans la série, plus je comprends pourquoi les fans parlent d’une mythologie interne au jeu. C’est particulièrement flagrant dans Silent Hill 3 qui fait directement suite au premier et continuer à développer le mythe d’Alessa Gillespie, cette fillette dotée de pouvoirs paranormaux, brûlée vive lors d’un rituel occulte orchestré par sa propre mère, puis plongée dans un cauchemar sans fin – une figure indissociable de l’histoire de la ville et de sa monstrueuse apparence. Si le début du jeu tranche avec les précédents, grâce à des décors différents (métro, centre commercial) et à un gameplay plus souple et moins répétitif, la dernière partie nous ramène sur les pas de Harry Mason, héros du premier jeu. Sa fille adoptive Heather, ayant progressivement découvert son histoire et accepté sa propre nature, refait en partie le chemin de son père, depuis un impressionnant combat contre le souvenir d’Alessa sur un inquiétant manège, jusqu’à l’exploration d’une sinistre chapelle où réapparaissent certains lieux mythiques du premier jeu : la chambre d’enfant d’Alessa avant le drame, mais aussi sa chambre d’hôpital. J’ai été frappée, dans cette dernière partie, par l’imagerie quasi christique associée à Alessa : les décors renvoient régulièrement aux images de son martyre, depuis les murs en flammes de la chapelle jusqu’aux fauteuils roulants et lits d’hôpital abandonnés dans les endroits les plus improbables. Sans parler de cette photo d’Alessa à sept ans, la première image que l’on découvrait dans le générique du premier Silent Hill et qui prend valeur d’icône à force d’apparaître dans le jeu. Si Silent Hill 3 souffre d’un scénario un peu long à se mettre en place et ne déploie toute sa richesse que dans la dernière partie, il se caractérise par une mise en scène inventive : dans la manière de filmer les combats (celui du manège est de toute beauté), mais aussi dans l’aspect visuel des lieux les plus cauchemardesques du jeu. Vers la toute fin, j’ai traversé plus d’une fois des pièces en courant tellement la vision des murs en train de se transformer et de se dissoudre à vue d’œil était oppressante. Une magnifique vision de l’enfer, mise en scène par une équipe qui considère le jeu vidéo comme un art à part entière plus que comme un simple divertissement (il suffit de regarder le making of disponible sur Youtube pour s’en convaincre).

 

Pour vous donner un aperçu de l’ambiance, voici une des scènes les plus marquantes du jeu, par son côté totalement improbable. Je l’ai vue reprise dans la bande-annonce de Silent Hill : Revelations, l’adaptation cinématographique du jeu qui sortira l’an prochain (avec notamment Malcolm McDowell dans le rôle de l’inquiétant Leonard Wolf). Et je me prends à rêver d’une adaptation qui bénéficierait cette fois d’un véritable scénario (quoique le travail nécessaire pour raccorder le scénario du premier film avec celui du troisième jeu relève du grand écart). Je reste persuadée qu’un grand film sur Silent Hill reste à faire.

 

 

 

 

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Les démons de Silent Hill

Il va m’être très difficile de parler de Silent Hill 2 sans recourir aux superlatifs. C’est tout simplement l’un des jeux les plus impressionnants auxquels il m’ait été donné de jouer. J’avais déjà parlé ici il y a quelques mois de ma fascination de longue date pour Silent Hill, auquel je n’ai joué pour la première fois que tout récemment. Tout me soufflait que ce jeu-là serait mon jeu. L’expérience du premier épisode me l’avait confirmé, mais ce Silent Hill 2 me le prouve d’une toute autre manière.

 

 

Comme je l’ai donc déjà dit en ces lieux, toute personne s’intéressant au fantastique et à la mise en scène de la peur se doit d’explorer au moins une fois les rues de Silent Hill. Mais j’ajouterais que toute personne qui s’intéresse comme moi à la dimension psychanalytique du fantastique doit absolument jouer à Silent Hill 2. Je n’ai jamais vu de jeu qui creuse ce sillon-là de manière aussi habile, aussi subtile, et j’irais jusqu’à dire aussi courageuse : voilà un jeu qui sait faire confiance à l’intelligence du joueur et à sa capacité à lire entre les lignes. Le premier Silent Hill était déjà une expérience marquante et parfois dérangeante, mais il l’était de manière plus frontale. Dans Silent Hill 2, les moments les plus forts jouent finalement beaucoup sur les sous-entendus et sur une imagerie qui titille l’inconscient.

  

 

Dans ce deuxième épisode, on incarne un jeune veuf, James Sunderland, dont l’épouse Mary est morte de maladie trois ans plus tôt. James reçoit pourtant une lettre écrite par Mary, qui semble l’appeler à Silent Hill où ils avaient passé des vacances heureuses. Mais au lieu de la ville balnéaire tranquille de ses souvenirs, James trouve une ville déserte et délabrée, noyée dans la brume et peuplée de monstres informes. Il y rencontre des personnages tous plus paumés et torturés les uns que les autres, et notamment l’intrigante Maria, sosie absolu de Mary, qui insiste pour l’accompagner.

   

Le premier aspect fascinant de Silent Hill 2, c’est de ne pas être une suite directe du premier, et d’ouvrir ainsi la porte à pas mal d’interprétations. On croyait savoir plus ou moins à quel moment Silent Hill était devenue cette ville hantée – mais on redécouvre ici une ville différente, dont la géographie n’est plus la même, et qui ressemble à une projection de l’espace mental des personnages qui s’y égarent (ce qui n’est pas incompatible avec les hypothèses du premier jeu, mais là, c’est moi qui m’égare). Et c’est précisément là que le jeu frappe très fort. Plus qu’une intrigue linéaire, c’est une suite de thèmes que tisse le scénario. Un schéma se dégage en particulier : tous les personnages que l’on croise portent un fardeau, un lourd secret, ou ont un meurtre sur la conscience. Les messages que l’on découvre ça et là sur les murs ou dans l’hôpital renvoient à des histoires semblables. Et le monstre le plus marquant du jeu, resté pour pas mal de gens la figure emblématique de la série, est une créature terrifiante aux allures de bourreau, coiffé d’un casque métallique en forme de pyramide et armé d’un long couteau. Très vite, on s’interroge sur les raisons réelles qui rappellent James à Silent Hill. Comme si la ville et les gens et monstres qu’il y croise cherchaient à lui transmettre un message qu’il comprendra progressivement.

 

Par certains aspects, le scénario m’a rappelé Les Autres (en tout cas la façon dont j’avais perçu le film à la deuxième vision, où il prend un tout autre sens). Par d’autres, les ambiances de David Lynch – voir ce complexe d’appartements où l’on trouve une chambre vide envahie de papillons, et une autre où un cadavre regarde un téléviseur éteint – ou encore l’imagerie organique malsaine d’un Clive Barker. Une scène, à ce sujet, m’a particulièrement marquée. Chacun des personnages que l’on croise affronte ses propres démons ; pour l’un d’entre eux, il s’agit d’un inceste. Aux deux tiers du jeu, on affronte une créature représentant ce père incestueux. C’est peut-être la scène la plus dérangeante que j’aie jamais vue dans un jeu vidéo. Rien n’est dit ouvertement, mais tout ce qui est suggéré est extrêmement clair et fort. L’aspect visuel de ce monstre informe, mais aussi de la pièce aux murs quasi organiques percés de rangées de trous, ressemble à ce que pourrait être la symbolique de cet inceste vue dans un cauchemar dont on se réveille en sursaut sans bien comprendre pourquoi. Il y a quelque chose, dans cette scène et tout ce qu’elle suggère en peu d’effets, qui vous prend réellement aux tripes, comme un rêve qui va puiser très profondément dans votre inconscient. En comparaison, la dernière partie du jeu m’a presque paru fade, tant cette scène-là était puissante. Elle est d’ailleurs assez représentative de ce que Silent Hill 2 apporte par rapport à son prédécesseur : les monstres du premier jeu, chiens écorchés ou insectes géants, n’étaient pas toujours très convaincants, même s’ils s’inscrivaient dans une certaine logique (un imaginaire enfantin qui trouvait son explication dans l’intrigue). Ceux de Silent Hill 2 – créatures informes, mannequins sans tête constitués de deux paires de jambes – ont quelque chose de beaucoup plus suggestif et dérangeant, et semblent renvoyer indirectement aux démons (figurés, ceux-là) qui hantent James.

 

J’aurais pu parler aussi de la bande-son toujours aussi travaillée, presque un personnage à part entière : les bruits de fond distordus, les thèmes musicaux, le célèbre grésillement de la radio qui annonce l’approche des monstres… Tous ces sons qui représentent le pouls, la vie propre de cette ville fantôme. Si j’avais un reproche à formuler, ce serait le caractère assez répétitif du gameplay : trop d’allers-retours dans des couloirs pour aller chercher des clés ou des munitions, et certains passages évoquent un peu trop un copier/coller du premier épisode (les bâtiments à explorer – hôpital, hôtel, etc – se ressemblent trop). Et une autre remarque, plus personnelle celle-là : l’aspect que prend la Silent Hill parallèle est beaucoup moins terrifiant dans sa version nocturne que dans la version « métallique » du premier épisode : ne pas savoir pourquoi, soudain, la ville n’était plus composée que de grillages rouillés avait quelque chose de franchement effrayant. Mais ce sont des reproches mineurs au regard de la puissance et de l’intelligence du jeu dans son ensemble. Si vous aimez le fantastique aussi profondément que je l’aime, dans sa capacité à fouiller la psyché de personnages torturés et à créer une véritable poésie de l’effroi, je ne peux que vous conseiller de vous aventurer à Silent Hill. Je crois qu’ensuite, on n’en revient jamais vraiment. Quelques mois après avoir fini le premier jeu, son introduction, son thème musical et son intrigante première phrase continuent à me hanter.

  

 

En attendant d’explorer les autres jeux de la série, je m’apprête à revoir le film de Christophe Gans, adapté du premier épisode avec quelques emprunts au deuxième. Il m’avait déjà pas mal énervée quand je l’avais vu sans connaître les jeux, et je crois qu’une deuxième vision n’arrangera rien. Je sais que le scénario bancal me fera pester , je sais que je serai très énervée de voir Jodelle Ferland incarner aussi mal deux figures aussi essentielles – j’ai une fascination trop grande pour la figure tragique d’Alessa Gillespie pour supporter qu’on la transpose aussi mal à l’écran. Malgré tout, l’exercice m’intéresse, et je serai curieuse de revoir certaines scènes à présent que je sais d’où elles viennent (je pense notamment à une scène qui implique l’infirmière Lisa, un de mes personnages préférés du premier jeu).

 

Et ensuite, je reviendrai sans doute en reparler ici.

  

 

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