Blog : 1 juin 2009

Addendum : Hurlevent, suite et fin

 

Une impression me frappe alors que je cherche à mettre des mots sur ce qui fait l’impact des Hauts de Hurlevent (terminé ce matin au petit déjeuner) : une sorte d’ambiance « fin de race », une impression de déliquescence, je ne sais pas comment le dire autrement. Il s’agit d’un roman où les humains, livrés à eux-mêmes au cœur d’une nature hostile et quasiment privés d’interactions avec leurs contemporains, n’ont que deux choix possibles. Redevenir des animaux, comme les Earnshaw après la mort des parents, et plus encore lorsque Heathcliff récupère Wuthering Heights ; ou des aristocrates ineptes et mollassons comme les Linton, qui vont d’ailleurs produire en bout de course la pire caricature d’eux-mêmes en la personne d’un mollusque anémique justement prénommé Linton, ce gamin geignard et souffreteux qui a le bon goût de mourir jeune en épargnant au lecteur d’inutiles souffrances. Le monde et le reste de l’humanité existent à peine : on ne saura jamais d’où est venu Heathcliff, ni d’où venait l’argent qu’il a amassé lors de sa disparition. Le jeu de miroir entre les deux familles et les deux maisons, à travers les alliances et les déplacements des personnages, est assez fascinant. Jusque dans les noms, me semble-t-il : Heathcliff, qui ne possède aucun patronyme, est une famille à lui tout seul ; Linton porte comme prénom le nom de jeune fille de sa mère ; et le roman compte deux Catherine, mère et fille, une Earnshaw et une Linton.

 

C’est cette impression de sauvagerie et d’enfermement qui place le roman à part. Dans cet environnement, il suffit de peu pour transformer un gentil petit garçon à l’esprit vif en bête sauvage fière de sa propre bestialité – il suffit de le retirer à la garde de la gouvernante Nelly Dean pour le laisser grandir entre son père (pas très longtemps), le serviteur Joseph (dont les dialogues à peine intelligibles renforcent l’impression d’animalité ambiante), et Heathcliff qui s’amuse à le regarder s’avilir. Il suffit aussi que deux adolescents du même âge se rencontrent pour qu’ils tombent amoureux, simplement parce qu’ils n’ont jamais rencontré personne d’autre de leur génération. Dans ce contexte, personne ne semble se formaliser que Cathy (deuxième du nom) tombe amoureuse deux fois de ses propres cousins, et personne ne semble gêné par l’idée qu’elle puisse les épouser (remarquez, avec Linton, au moins, le mariage ne risquait pas d’être consommé).

 

Autre élément qui m’a frappée, l’omniprésence de la mort et de la maladie. C’est un roman où les personnages tombent comme des mouches à tout bout de champ. Question d’époque, mais je trouve que ça prend une tout autre dimension quand on le met en parallèle avec l’histoire de la famille Brontë, ou en tout cas ce que j’en connais – de la même manière que le début de Jane Eyre rappelle l’école où les deux sœurs aînées de la famille sont mortes très jeunes à cause de conditions d’hygiène déplorables. Ça fait partie des petits détails qui ravivent ma fascination pour l’histoire de cette famille, et pour Emily en particulier. J’ai lu adolescente un roman de chacune des trois sœurs et la mise en parallèle des trois était assez frappante. The Tenant of Wildfell Hall (écrit par Anne) m’a fait l’effet d’un petit bouquin très plat et très ennuyeux, une sorte d’archétype de roman anglais de cette époque. Jane Eyre (de Charlotte, donc) était déjà bien plus barré, même si ça restait un roman beaucoup plus policé que celui d’Emily – on y retrouvait quand même quelques éléments de cette sauvagerie. Mais rien qui égale cette noirceur, cette impression de déliquescence et de bestialité, qui hantent les pages des Hauts de Hurlevent.

 

Je vous rassure, je ne vais pas continuer longtemps à tourner en boucle autour de ce roman. Mais ça fait un bien fou de retrouver intacte l’obsession éprouvée pour un livre qu’on avait adoré à l’adolescence. Il y a des romans tellement uniques, tellement denses, tellement « autres » qu’ils ne vieillissent jamais. Je crois que celui-là ne prendra jamais une ride.

 

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Heathcliff au jardin

 

Le petit plaisir du week-end : découvrir par hasard un parc à deux minutes de chez moi, devant lequel j’étais passée plusieurs fois sans le remarquer, et trouver l’endroit onirique à souhait, comme une bulle de verdure larguée entre les rails et les immeubles. Peut-être simplement parce que la machine à fabriquer des images qui donnent naissance aux histoires fait mine de se réveiller depuis quelques jours. La faute aux rails qui traversent mon nouveau quartier à plusieurs endroits et qui travaillent pas mal mon imagination. Je croise les doigts pour qu’il en sorte quelque chose dans les semaines qui viennent : j’ai trop peu écrit en ce début d’année.

 

Toujours est-il que le premier coup de soleil de l’année aura été pris dans ce parc en relisant Les Hauts de Hurlevent. Heathcliff, me disait récemment une amie, est un des plus beaux méchants de toute la littérature. Je suis assez d’accord, même si je me surprends à éprouver plus de compassion pour le bonhomme que lors de ma première lecture. Je n’avais pas compris la première fois que Heathcliff ne se vengeait pas seulement parce qu’il n’a pas pu épouser Catherine. Il se venge aussi, voire surtout, de toutes les humiliations subies au fil des années, ce qui éclaire le roman différemment. La façon dont il transforme Hareton, le fils du frère de Catherine, en brute quasi animale, à l’image de l’adolescent qu’il a été, est glaçante ou poignante selon les passages. C’est un des aspects du roman que j’avais totalement oubliés, mais c’est celui qui m’a le plus frappée cette fois-ci, outre le côté extrême des personnages et des passions qui les animent, à l’image de la nature qui les entoure. Tout ça me donne des envies de me replonger dans l’histoire de la famille Brontë, histoire de mieux comprendre quel environnement a pu donner naissance à un roman comme celui-là. Et aussi de relire Jane Eyre, dans la foulée.

 

Une question subsiste : pourquoi la chanson de Kate Bush m’émeut-elle à ce point alors qu’elle adopte le point de vue du fantôme de Catherine – qui reste quand même l’un des personnages les plus insupportables du roman ?

 

À propos de Kate Bush, une autre chanson pour terminer le week-end. Parce qu’elle colle parfaitement à ce parc, ces rails, cette impression d’onirisme et aux images qui me tournent dans la tête depuis. Je ne peux pas vous expliquer, j’espère simplement qu’il en sortira quelques pages.


 

 

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