Blog : janvier 2011

Les rues de Silent Hill

J’imagine que tous les gens se passionnant pour l’une ou l’autre forme d’art ou d’expression ont connu ça un jour : fantasmer des années sur un livre/film/album/etc sans pouvoir y accéder, au point qu’il nourrit indirectement notre imaginaire. En matière de séries, j’ai rêvé des années de Twin Peaks (depuis sa toute première diffusion, en fait) avant de pouvoir enfin m’y plonger. Du côté des jeux vidéo, il y en avait un qui m’intriguait depuis une bonne dizaine d’années. Depuis le jour où j’étais tombée sur un article décrivant un jeu d’aventure dans lequel un père recherchait sa petite fille dans une ville envahie par la brume et peuplée de monstres, j’avais eu l’intuition que Silent Hill était pour moi. Tout ce que j’avais entendu par la suite avait renforcé mon envie de voir ce jeu : la « mythologie Silent Hill » dont parlent les fans, sa réputation de jeu le plus flippant de l’histoire du jeu vidéo, la sortie du film de Christophe Gans qui ne m’avait pas totalement convaincue malgré de très belles scènes, mais qui m’avait poussée à me renseigner sur le scénario du jeu d’origine. Au fil des années, la série Silent Hill devenait un classique et je croyais bêtement qu’il était trop tard pour découvrir l’original sur les machines actuelles.

 

Quand j’ai appris tout récemment que les jeux de la première Playstation étaient compatibles avec la PS3, quel a été à votre avis mon premier réflexe ?

 

Le jeu est entré chez moi depuis deux jours. Je vous passe la grosse bouffée d’émotion en le lançant pour la première fois, sur l’air de « Non, c’est pas possible, je vais vraiment jouer à Silent Hill ? » Deux constatations dès les premières minutes : les graphismes ont vieilli – et la bande-son est grandiose. Une des plus travaillées que j’aie jamais entendu dans un jeu. Au bout de dix minutes, je comprenais déjà pourquoi ce jeu avait marqué les esprits. Ce n’est pas tant le déroulement de l’intrigue, qui reste un jeu d’aventure assez classique (visiter tel endroit, prendre tel objet, l’utiliser pour telle action), que l’ambiance et la mise en scène. J’avoue avoir bondi d’un mètre au-dessus du canapé au tout début du jeu, quand Harry Mason explore une ruelle obscure muni d’une simple torche, et que le premier monstre lui saute dessus sans prévenir. Quatre ou cinq heures de jeu plus tard, je n’ai pas connu d’autres grosses trouilles du même genre, mais il faut reconnaître qu’on joue à Silent Hill dans un état de tension constante qui est suscité avec une subtilité impressionnante. Ce ne sont pas les monstres qui font peur ; ils sont plus pitoyables qu’autre chose, surtout ces chiens écorchés qui hantent les rues et qu’on prendrait presque en pitié. C’est l’impression d’anomalie constante qui habite les lieux : les rues désertes et noyées dans la brume, qui s’interrompent parfois pour ne déboucher que sur du vide ; les fauteuils roulants et autres objets médicaux abandonnés dans les recoins ; l’étrangeté du décor fantôme dans lequel on bascule en visitant l’école de Midwich : une autre école dont le plan est identique, mais où les murs sont grillagés, où les pièces ont des murs sales couverts de rouille et de sang, où des chaînes pendent au plafond – on se croirait chez Clive Barker. S’y ajoute une bande-son magnifique et vraiment effrayante, entre les bruitages d’ambiance oppressants, le grincement des portes, et cette radio qui émet des grésillements crispants chaque fois qu’un monstre approche. L’idée de la radio m’a rappelé Aliens auquel je jouais sur Amstrad, un jeu assez moyen mais bien flippant lui aussi grâce au « bip bip » strident qui retentissait en présence de chaque Alien, et qui nous annonçait qu’il nous restait quelques secondes pour le trouver avant qu’il ne nous trouve.

 

Pour moi qui m’intéresse au fantastique, à son imagerie et à la manière de le mettre en scène, Silent Hill est particulièrement impressionnant à cet égard : il a une identité visuelle très forte, malgré des graphismes assez limités, et la travail sur le son est particulièrement subtil. Les scénaristes se sont d’ailleurs amusés à baptiser les rues d’après des auteurs classiques du genre : Bradbury, Bloch, Levin, Bachman… Un peu plus loin, une autre référence m’a fait sourire, musicale celle-là : une liste de professeurs mentionnant les noms « Ranaldo, Moore, Gordon ». Visiblement, des fans de Sonic Youth sont passés par là.

 

À l’heure qu’il est, j’ai survécu à l’épreuve de l’école (non sans avoir rejoué dix fois le même passage avec une jauge de vie dans le rouge, plus de munitions, et des couloirs que je traversais dans le noir pour éviter les monstres). J’ai tué le monstre du sous-sol, retrouvé la lumière du jour, rencontré Dahlia Gillespie dans l’église. Je ne vais plus tarder à visiter l’hôpital. J’appréhende un peu d’y retourner. Ce n’est vraiment pas un jeu confortable à jouer, mais c’est ce qui fait sa force. Je suis heureuse qu’il ne m’ait pas déçue. J’aime découvrir un jeu qui ne se contente pas d’être distrayant, mais qui offre un véritable travail de création. Et qui rappelle que le jeu vidéo, à sa façon, est lui aussi une forme d’art.

 

Et pendant ce temps, chaque semaine apporte de petites et grandes joies. Des rencontres scolaires ; une nouvelle qui semble se débloquer pour de bon et que je devrais bientôt pouvoir écrire ; une très belle critique de Notre-Dame-aux-Écailles par Serge Lehman dans Le Monde, qui fait de ce recueil une lecture qui m’a beaucoup touchée. Et vendredi prochain, le 4 février, une journée à Hérouville-Saint-Clair, près de Caen, pour diverses rencontres avec des lycéens et des lecteurs. Une rencontre publique aura lieu à 19h à la bibliothèque. L’organisation est particulièrement efficace et enthousiaste, le programme alléchant, la journée devrait en valoir la peine.

 

 

Post navigation


Sur une note moins joyeuse

 

J’avais posté l’entrée précédente depuis quelques secondes à peine quand est tombée une nouvelle que j’ai encore du mal à digérer : le décès ce matin de Trish Keenan, chanteuse du groupe Broadcast, des suites d’une pneumonie. Vous aurez donc aujourd’hui deux entrées pour le prix d’une.

 

Le plus triste, c’est qu’on ne peut jamais savoir quand un concert sera le dernier. La dernière fois que je les ai vus sur scène, j’espérais réellement revoir bientôt Lhasa, Grant McLennan des Go-Betweens, ou bien Broadcast. Un groupe que je voulais tellement aimer, au départ, sans y parvenir vraiment, emballée par une poignée de singles merveilleux mais déroutée par des albums un peu arides sur la longueur. Fascinée par le timbre et le phrasé uniques de Trish Keenan, qui aurait pu être énervant mais qui était souvent magique. Et puis en insistant un peu, le miracle s’est produit : un album parfait de bout en bout, baptisé Tender Buttons. Un concert électrisant comme on en voit peu, alors que le premier m’avait déçue, avec une Trish Keenan charismatique au possible – j’ai souvenir d’avoir dansé à en perdre haleine sur Michael : A Grammar. Je ne savais bien sûr pas que ce serait le dernier.

 

Peut-être les artistes qu’on a vus en live sont-il ceux qu’on arrive le mieux à se représenter comme des personnes réelles ; ce sont en tout cas, me semble-t-il, ceux dont on fait le deuil le plus personnel.

 

 

Post navigation


Amstrad gram

 

Est-ce d’avoir récemment découvert les jeux sur PS3, participé à un projet pour lequel j’ai causé de jeux vidéo devant une caméra, ou farfouillé pour le même projet dans les archives de la revue Amstrad 100% qui fut une des bibles de mon adolescence, toujours est-il que je redécouvre qu’une de mes madeleines de Proust favorites s’appelle Amstrad. Ce qui me rassure, c’est que je ne suis apparemment pas la seule. Il suffit que je prononce le mot face à mon geek de cousin (par ailleurs respectable père de famille depuis peu) et nous voilà en train d’évoquer les innombrables après-midi passées à nous décapiter mutuellement dans Barbarian, à faire causer « Yoko petit izwal » dans L’Arche du capitaine Blood ou à nous noyer à deux doigts de libérer le dernier sorcier dans Sorcery +. Pas plus tard que ce matin, entre deux pages de traduction, j’ai passé dix bonnes minutes à chercher des vidéos de jeux dont la musique m’avait marquée, et à en redécouvrir d’autres que j’avais oubliés. Cette séquence nostalgie qui ne dira sans doute rien aux moins de trente ans vous est offerte par YouTube et moi-même.

 

 

 

 

 

Je sais, Barbarian est en version C64, mais c’est la seule vidéo musicale que j’aie trouvée. Je dois encore être capable de fredonner la musique d’Arkanoid, de Space Harrier et de quelques dizaines d’autres, mais n’insistez pas pour entendre ça, je chante comme une casserole. Le pire, c’est que je trouve tout ça moins daté que je n’aurais cru.

 

Intermède non musical pour annoncer mes prochaines dédicace :

 

– Le 12 février à 17h : table ronde autour du fantastique en compagnie de Jean-Luc Rivera, Stéphane Marsan et Denis Mellier à la bibliothèque Marguerite Duras, 115 rue de Bagnolet, 75020 Paris.

 

– Le 19 février : dédicace autour de Kadath, et aussi de Notre-Dame-aux-Ecailles, en compagnie de Nicolas Fructus et Laurent Poujois, à la librairie Omerveilles de Grenoble.

 

Est également prévue le 4 février une intervention en bibliothèque en Normandie mais j’attends d’avoir tous les détails avant de l’annoncer.

 

À propos de signature, j’apprends que Francis Berthelot dédicacera le samedi 29 janvier chez Scylla (8 rue Riesener, 75012). Je suis justement plongée dans son Carnaval sans roi dont je parlais la dernière fois. Certains de ses romans demandent un petit temps d’immersion – Hadès Palace notamment m’a fait cet effet. D’autres vous happent dès la première page, et c’est le cas de celui-ci. C’est peut-être le plaisir de retrouver les personnages de Nuit de colère, notamment Kantor, seul rescapé du suicide collectif d’une secte dont son père était le gourou, et qui a hérité de ce même père un don de télépathie qui lui permet, dans Carnaval sans roi, de venir au secours d’un patient possédé par cinq esprits (qui sont aussi des personnages des romans précédents). On y retrouve le mélange habituel qui fait la griffe de Francis Berthelot : c’est triste et beau à la fois, parsemé de trouvailles poétiques, avec un don particulier pour vous toucher en plein cœur au détour d’une phrase. Et vous parler parfois de manière si directe que c’est à se demander si Kantor n’est pas allé se balader sous votre crâne pour en rapporter certaines impressions. On oscille entre le tragique et le comique, avec une douceur et une légèreté qui tempèrent la gravité des sujets abordés. Je mentionnais la parution du roman chez Rivière Blanche en version papier, j’oubliais de préciser qu’il sera bientôt disponible au format numérique sur le site du Bélial. Venez nombreux chez Scylla le 29 janvier.

 

 

 

Post navigation


Vélizy aussi

 

J’espère que vous me pardonnerez ce jeu de mots douteux pour commencer l’année, mais je n’ai pas pu résister. Tout ça pour annoncer une dédicace à laquelle je participerai ce samedi 8 à la Fnac Vélizy à partir de 15h avec une partie de l’équipe de Kadath (Raphaël Granier de Cassagnac et Nicolas Fructus). D’autres signatures/salons/interventions en bibliothèque sont prévues pour 2011 mais j’attends qu’elles soient confirmées officiellement pour les annoncer ici.

 

Lors des derniers jours de 2010, je vous entretenais ici de mon intérêt tout nouveau pour les jeux sur PS3. J’ai réussi depuis à me débloquer un dimanche et quelques soirées pour en tester un qui m’intriguait particulièrement. J’ai cru comprendre que Heavy Rain était loin de faire l’unanimité. Certains lui reprochent son gameplay trop directif et un scénario non dépourvu de clichés ; d’autres s’extasient sur son côté immersif. Je me range de ce côté-là, même si je comprends les réserves émises sur ce jeu : les personnages sont effectivement assez archétypaux, et quelques points de scénarios m’ont fait tiquer. Moi qui ai toujours eu une fascination pour les jeux d’aventure où le personnage se balade dans un décor en 3D, manipule les objets qui l’entourent, etc, j’étais déjà ravie d’en avoir un sur PS3 – en réalité, j’ai joué à très peu de jeux de ce genre, et le dernier remonte à Phantasmagoria il y a une dizaine d’années. Mais là où Heavy Rain se distingue (en tout cas à mes yeux de novice qui connaît encore très mal le domaine), c’est par son côté « film interactif ». Les cadrages, l’ambiance sombre et pluvieuse, la musique lancinante, le générique, tout y est. On incarne tour à tour quatre personnages lancés sur la piste d’un tueur en série qui enlève de jeunes garçons par temps de forte pluie, et dont on retrouve ensuite les victimes noyées, un origami dans la main. L’un des personnages est le père du dernier garçon enlevé, embarqué dans un jeu de pistes mis en scène par le tueur. Ils n’ont que quelques jours pour le retrouver. Et chacun des choix effectués par les personnages peut influer sur le cours de l’intrigue. Chaque partie, m’a-t-on dit, est un film différent. Vu le fiasco qu’a été ma première partie (trois personnages morts et le tueur en liberté), je me suis empressée de rejouer le tout début. Pour constater effectivement que même sur une scène anodine entre père et fils, la tonalité change totalement selon les interactions choisies.

 

 

 

  

Le jeu est vendu comme étant avant tout une expérience émotionnelle. J’étais sceptique au départ, tant le personnage d’Ethan Mars, le bon père de famille marqué par un premier drame puis par l’enlèvement de son fils, me paraissait agaçant. Trop classique, trop hollywoodien pour permettre la moindre identification de ma part. Sauf que les scènes les plus impressionnantes à jouer (voire les plus stressantes) sont les siennes. Et qu’on finit par réellement se prendre au jeu et l’accompagner dans sa descente aux enfers. J’ai lu une critique qui rapprochait Heavy Rain de Seven ; personnellement, j’ai plutôt pensé à Dexter, notamment la première saison. Moins pour l’enquête sur un tueur en série que pour la tristesse ambiante, un côté tragique qui imprègne tout le jeu. On peut mener les personnages dans la bonne direction et l’histoire vers un dénouement heureux, ça n’enlèvera rien au fait qu’il s’est passé des événements terribles. La pluie qui baigne le jeu tout du long ne cesse de nous le rappeler.

 

Je comprends qu’on puisse trouver le jeu frustrant dans la mesure où les actions qu’il permet restent assez limitées, et le rythme assez lent ; on est amené à jouer pas mal de gestes anodins (prendre une douche, préparer le repas, nouer une cravate), mais j’ai trouvé ça plutôt amusant. En réalité, l’action porte moins sur le gameplay lui-même que sur les conséquences de nos choix (encore qu’il y ait des scènes cruciales que j’ai ratées pour n’avoir pas appuyé sur la bonne touche au bon moment). Moi qui m’intéresse finalement plus aux histoires qu’à la partie purement technique, j’ai adoré l’expérience, qui m’a très curieusement rappelé le diptyque Smoking/No smoking d’Alain Resnais que j’avais trouvé très ludique à l’époque. Il ne me reste plus qu’à recommencer du début en essayant de mieux comprendre comment s’enclenchent les événements – et de ne pas tuer tout le monde, cette fois-ci. D’autant que certaines scènes doivent prendre un tout autre sens lorsqu’on connaît l’identité du tueur.

 

Dans un monde moins virtuel, c’est cette semaine que sort la version poche de Notre-Dame-aux-Écailles, qui devrait être en librairie à l’heure où vous lisez ces lignes. Cette semaine aussi que paraît chez Rivière Blanche le Carnaval sans roi de Francis Berthelot, qui fait suite aux autres romans de son cycle du « Rêve du démiurge ». Les romans sont liés entre eux par les personnages mais chacun est une intrigue indépendante ; tous sont beaux et poétiques, et infiniment recommandables. J’attends de lire celui-ci avec d’autant plus de curiosité qu’on y retrouve Kantor, l’un des personnages de Nuit de colère qui m’avait beaucoup marquée. Si vous ne connaissez pas encore les romans de Francis Berthelot, c’est l’occasion de les découvrir.

 

 

Post navigation