Blog : catégorie Livres - page 8

Reines, dragons et présidents

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J’attendais l’annonce officielle pour en parler ici : ma prochaine nouvelle, intitulée « Les Sœurs de la Tarasque », figurera au sommaire de l’anthologie officielle des Imaginales à paraître chez Mnémos. Le thème de l’anthologie est cette année Reines et dragons. Elle est dirigée par Lionel Davoust et Sylvie Miller, et mon texte y côtoiera ceux de Chantal Robillard, Thomas Geha, Adrien Tomas, Anne Fakhouri, Justine Niogret, Pierre Bordage, Charlotte Bousquet, Vincent Gessler, Erik Wietzel, Mathieu Gaborit et Nathalie Dau. Une présentation plus complète est disponible sur le site des Imaginales.

 

Je suis très attachée à ce texte qui m’a obligée à sortir de ma zone de confort en délaissant le fantastique pour la fantasy urbaine. Ce n’est pas la première fois qu’un de mes textes flirte avec le genre, mais je l’ai abordé cette fois de manière plus frontale. Dès que Lionel et Sylvie m’en ont parlé, j’ai eu envie de relever le défi, et je me suis beaucoup amusée en cours de route.

 

 

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Quelques mots en passant sur une lecture marquante, bien qu’il m’ait fallu attendre les cent dernières pages pour décider dans quelle mesure j’adhérais au projet. Non pas que le 11/22/63 de Stephen King soit bancal ou ennuyeux. Mais on se demande tout du long quel est le véritable thème du roman, et si King réussira à relier tous les fils de manière convaincante. Non seulement il le fait bel et bien, mais la conclusion est magistrale. Il y a des longueurs, comme souvent chez lui, et il faut accepter de ne pas trop savoir où il nous mène. 11/22/63 n’est pas réellement l’histoire d’un homme qui retourne dans le passé pour tenter d’empêcher l’assassinat de Kennedy. Pas seulement, en tout cas, même si c’est l’un des fils conducteurs du roman. C’est avant tout l’histoire d’un homme qui apprend à vivre dans une époque qui n’est pas la sienne. C’est aussi une variation astucieuse sur le thème du voyage dans le temps, qui développe l’idée selon laquelle le passé refuse activement de se laisser modifier.

 

Surtout, c’est un roman profondément humain, comme souvent chez Stephen King. Un roman dont la dernière scène vous serre la gorge par son intensité et sa charge émotionnelle : une idée très simple, très belle, et pleine d’échos. Parfaitement logique par rapport aux thèmes développés, et totalement inattendue à la fois. J’ai été frappée également, comme dans les romans récents, par une manière très particulière de parler de douleur physique, qui fait forcément penser à l’accident dont King a lui-même été victime il y a une dizaine d’années. Certains passages sont très clairement écrits par quelqu’un qui sait ce que c’est de souffrir physiquement d’une manière qui laisse des séquelles durables. Le sentiment de violence faite au corps et à la dignité de l’individu est quasiment palpable.

 

Je n’irai peut-être pas jusqu’à dire comme beaucoup que 11/22/63 est le meilleur de ses romans récents. Mais il gagne dans ses cent dernières pages une dimension tragique qui m’a rappelé Misery et sa conclusion d’une tristesse infinie, jusqu’à la fulgurance de la toute dernière scène. Le voyage de Jake Epping dans le passé de l’Amérique est une belle aventure. Je ne peux qu’être admirative devant un roman dont la phrase la plus marquante, la plus emblématique et la plus riche de sens, tient en ces trois mots tout simples : « Dancing is life. » Et Stephen King est grand.

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Le temps des contes

Décembre, ses calendriers de l’avent et ses contes de Noël. Comme à son habitude, la ville de Reims propose sur son site Destination Noël une sélection de contes de Noël qui seront dévoilés à raison d’un épisode par jour. Ces quatre derniers jours, il s’agissait d’un très beau texte de Thomas Geha intitulé « Copeaux ». Ma propre contribution, « Un bal d’hiver », sera publiée dans le courant du mois (j’ignore encore la date exacte). J’ai cru comprendre que les camarades Lionel Davoust, Anne Fakhouri et Sophie Dabat, entre autres, seraient également du voyage.

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Création en chanson

Pour fêter la rédaction d’une nouvelle conçue en un temps record, ainsi que l’arrivée des Utopiales, un petit numéro musical. Trois acteurs de Dr Who (David Tennant, Catherine Tate et John Barrowman) rendent hommage en chanson aux producteurs Russell T. Davies et Julie Gardner. Pour en saisir tout le sel, les paroles figurent sur la page Youtube.

 

 

 

 

Je repensais à cette vidéo hier soir en commençant la lecture de The Writer’s Tale de Russell T. Davies et Benjamin Cook (sur l’air classique de « Allez, encore une page » avant de s’obliger à reposer le bouquin une heure et demie plus tard). Le livre est né d’un échange de mails censé déboucher sur un article consacré à Russell T. Davies et à la création de Dr Who dont il était alors producteur et scénariste. Deux ans de correspondance plus tard, c’est devenu un pavé passionnant. Outre la curiosité liée au fait de découvrir les coulisses de la série, j’ai été frappée par la sincérité avec laquelle Davies parle de ses difficultés d’écriture et de ses pannes d’inspiration. (Voir le pastiche qu’en fait David Tennant dans la vidéo ci-dessus.) J’aime sa manière de décrire la création d’une histoire non pas comme un processus linéaire, mais comme une suite de déclics qu’il est bien en peine de provoquer volontairement. J’y reconnais forcément beaucoup mon propre rapport à l’écriture. La partie que j’ai lue hier concernait plus particulièrement la genèse de la saison 4 et la création d’une nouvelle compagne pour le Docteur, qu’on voit Davies développer au fil des mails. Personnage finalement remplacé par celui de Donna Noble, que Catherine Tate avait déjà interprété dans un épisode de Noël. C’est amusant et touchant à la fois de voir Davies avouer en substance qu’au lieu d’être en train de développer une intrigue avec des monstres et des rebondissements, il se réjouit d’avoir enfin trouvé le nom de la mère de son héroïne. Car les noms ont une influence non négligeable sur le rapport qu’on entretient avec ses personnages, comme il l’explique très justement : un jour où un producteur a subitement fait changer le nom de l’héroïne d’une autre série sur laquelle il travaillait, il n’a plus jamais été capable de la développer correctement.

 

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D’après ce que j’en ai lu pour l’instant, le livre parle tout autant de ce qui a été créé que de ce qui a été envisagé puis abandonné, car comme le souligne Davies, la création est avant tout une question de choix successifs. Bref, un pavé passionnant qui devrait bien m’occuper demain pendant les deux heures du trajet Paris-Nantes. Rendez-vous aux Utopiales, pour ceux qui y seront !

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L’Adversaire

 

 

Parfois, l’univers semble conspirer pour vous pousser vers un auteur. Vous en entendez parler depuis des années, vous avez l’intention d’y jeter un œil plus tard, vous oubliez régulièrement. Et puis soudain, en l’espace de quelques semaines, le nom revient dans trois conversations différentes, et vous voilà ferré. D’Emmanuel Carrère, on m’avait surtout conseillé La Classe de neige, dévoré d’une traite le mois dernier, et L’Adversaire consacré à l’affaire Romand. J’ignore comment quelqu’un qui aurait déjà beaucoup lu sur le sujet recevrait la lecture de ce livre. Pour moi qui n’en connaissais que très vaguement les faits, ce fut l’équivalent d’un coup de poing à l’estomac.

 

L’histoire est parfaitement invraisemblable ; mais le pire, c’est qu’elle est vraie. En 1993, Jean-Claude Romand assassine son épouse, leurs deux enfants puis ses parents avant d’essayer en vain de se donner la mort. L’enquête révèle alors que sa vie tout entière n’était qu’une imposture. On le croyait chercheur à l’OMS, gagnant confortablement sa vie ; en réalité, il avait échoué à l’examen de la deuxième année de médecine, sans jamais l’avouer à personne. Il passera les dix-huit années suivantes à s’inventer de toutes pièces une vie, un personnage, un double idéal, devenus plus réels que sa véritable identité. Une fuite en avant qui se poursuivra jusqu’à ce que la peur d’être découvert le pousse au crime.

 

L’un des aspects les plus troublants de L’Adversaire, c’est le choix que fait Emmanuel Carrère d’adopter un regard subjectif, loin de s’en tenir simplement aux faits. Il ne s’en cache pas : l’histoire de Jean-Claude Romand le hante pour des raisons personnelles. Une question, en particulier, semble l’obséder : que pouvait-il se passer dans la tête de cet homme lors des heures qu’il passait seul sur des parkings ou dans les forêts du Jura, alors que tous le croyaient parti au travail ? Difficile de rester neutre face à cette histoire. Qui n’a jamais menti, ne serait-ce que par omission, pour ne pas perdre la face ? On ne comprend que trop bien les névroses ordinaires qui ont pu pousser Romand au premier mensonge. Ce qui terrifie, c’est l’ampleur du procédé et le moment où il devient un réflexe, un art de vivre, une identité même. Dès lors, le livre ne cesse de nous bousculer ; l’auteur ne sait lui-même quel point de vue adopter face à cette affaire, comme il s’en explique tout à la fin, et son trouble se transmet au lecteur. Qui est Jean-Claude Romand, en réalité ? Un pauvre type qui commence à mentir par lâcheté et ne sait plus comment s’en dépêtrer ? Ou un terrifiant cas psychiatrique : un homme qui s’est lui-même privé de toute identité et se soucie davantage, même une fois démasqué, de l’image qu’il donne aux autres que de l’ampleur de ses crimes ?

 

Un passage en particulier m’a bouleversée, lors de la reconstitution chronologique des meurtres. Romand a tué son épouse Florence la veille au soir. Ses enfants Antoine et Caroline se lèvent, il fait comme si de rien n’était, prépare leur petit déjeuner, regarde la télé avec eux. Il sait que ce sont les derniers instants qu’il passera avec eux avant de les tuer. Le moment venu, il fait en sorte qu’ils ne comprennent pas ce qui leur arrive. Le jour du procès, il craque en évoquant la mort de Caroline. On le sent alors réellement ébranlé par ce qu’il a fait. On éprouve un mélange d’horreur et de quelque chose qui ressemble presque à de la compassion. Mais le livre, un peu plus tard, détaille le portrait établi par les psychiatres en prison. Celui d’un « grand malade », d’un quasi-robot programmé pour ne donner aux autres que ce qu’ils attendent de lui, du moment qu’il ne baisse pas dans leur estime. Que penser alors de cette crise lors du procès ? Était-il sincèrement désolé ? Ou s’agissait-il encore du mensonge pathologique d’un homme devenu incapable d’éprouver des émotions sincères ?

 

L’Adversaire s’attarde aussi sur les autres : les proches, les amis, les survivants détruits par son mensonge. On ne peut que partager le désarroi de cet ami de longue date qui apprend que son meilleur ami lui a joué la comédie pendant vingt ans, et qui commence par refuser d’y croire. Comment admettre une vérité pareille ? Et comment, ensuite, continuer à vivre et réapprendre la confiance ?

 

On referme le livre complètement sonné, hanté par des images et des questions qui refusent de nous lâcher. Qu’est-ce qui serait le plus terrifiant, en fin de compte ? Que Romand nous ressemble tellement, ou qu’il nous soit à ce point étranger ? L’Adversaire ne tranche jamais. C’est ce qui lui donne une dimension réellement vertigineuse.

 

 

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"Kafka sur le rivage" : une poésie de la solitude

 

 

 

Une parenthèse avant d’entrer dans le vif du sujet : je croyais depuis quelque temps ne plus être capable de m’immerger dans un livre, ce qui désolait la lectrice boulimique que je suis depuis l’âge de mes premiers Martine. Après avoir dévoré coup sur coup La Classe de neige d’Emmanuel Carrère puis Kafka sur le rivage de Haruki Murakami, je commence à comprendre que ça ne s’applique en fait qu’aux livres de fantasy et de science-fiction – ce qui désole la lectrice de ces genres que je suis depuis mon premier Tolkien. Ça n’a rien à voir avec la qualité des livres, ni avec une lassitude liée à la pratique intensive des genres, d’autant que je prends toujours autant de plaisir à en traduire. Disons que le jeu consistant à se projeter ailleurs m’intéresse beaucoup moins ces temps-ci que celui consistant à se projeter dans la tête des autres pour voir ce qui s’y passe, et de quelle manière ils perçoivent et ressentent le monde. Ce qu’on peut aussi trouver dans la littérature de genre, mais pas avec le même langage, et je n’ai pas spécialement d’arguments pour appuyer ce qui n’est encore qu’un vague ressenti.

 

Kafka sur le rivage, donc. Ou les trajectoires croisées de Kafka Tamura, ado de quinze ans qui fuit le toit familial pour échapper à une terrible prédiction formulée par son père ; de Nakata, simple d’esprit qui parle aux chats et s’embarque dans une étrange mission dont il ignore tout lui-même ; d’Oshima, bibliothécaire de sexe indéterminé qui recueille Kafka ; et de Mlle Saeki, propriétaire de la bibliothèque, dont la vie s’est arrêtée à vingt-et-un ans suite à une perte insurmontable. Un étrange roman où il pleut des poissons, où l’on tombe amoureux des ombres du passé, où les rêves des uns deviennent la réalité des autres, où la frontière du réalisme et de l’onirique n’est jamais bien définie. Malgré tous ces éléments, je n’arrive pas à considérer ce roman comme un ouvrage de genre, tout comme j’avais du mal à voir La Route de Cormac McCarthy comme un roman de SF. Question d’approche et de distance, sans doute : le surnaturel est ici presque accessoire. Les histoires qui s’entremêlent dans ce roman sont aussi banales qu’elles sont extraordinaires, et c’est ce qui fait leur force.

 

Je repensais en cours de lecture au reproche que certains amateurs de genres font parfois à la littérature générale, soupçonnée de raconter des histoires banales – et si c’était justement ce qu’on y recherche ? Un regard peu ordinaire porté sur le monde ordinaire, qui nous en apprenne juste un peu plus sur toutes ces choses « banales » que sont la vie, la mort, l’amour ou encore l’insondable mystère des relations humaines ? Si je devais rapprocher Kafka sur le rivage d’une autre lecture récente, ce serait curieusement Mrs Dalloway. Je sais être en partie passée à côté du roman complexe de Virginia Woolf, mais je me souviens d’y avoir cueilli au vol des phrases qui étaient autant de fulgurances, quand les états d’âme de ses personnages touchaient à quelque chose d’universel. Ces moments tellement précieux dans une vie de lecteur où l’on se dit « J’ai déjà vécu ça, c’est exactement ça ». Comme le disait Moebius dans un documentaire sur Hayao Miyazaki (je cite de mémoire) : « Le génie, c’est de décrire quelque chose qui a toujours été là, mais que personne n’avait jamais vu. » C’est peut-être cette phrase, finalement, qui décrit le mieux la rencontre qui se produit avec la prose de Murakami.

 

Qu’est-ce que Kafka sur le rivage, en fin de compte ? Un roman sur la profonde solitude des êtres humains, et tous ces vides impossibles à combler ; sur l’étincelle qu’on ranime parfois dans la vie des autres, et qui est à elle seule une raison d’avancer ; un magnifique poème onirique qui fait vibrer quelque chose d’enfoui profondément en vous ; un roman d’une absolue légèreté, d’une absolue gravité et d’une intense mélancolie. Un livre, enfin, qu’on referme au bord des larmes sans bien savoir pourquoi, avec la seule certitude d’avoir fait une rencontre importante. Le roman est à l’image de la chanson du même titre citée dans le roman, composée par Mlle Saeki avant le drame : une suite d’images obscures reliées par une logique secrète, qui semble s’adresser directement à vous sans que vous ayez les mots pour le décrire.

 

Et c’est beau, tout simplement.

 

       

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