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Lendemain de concert, réveil difficile

À tous ceux qui estimaient que j’avais déjà beaucoup parlé ici de la musique des Dresden Dolls et d’Amanda Palmer et que ça devenait répétitif, je présente par avance mes plus plates excuses, mais vous n’en avez pas fini. Je crois que le personnage me fascine encore plus depuis l’interview d’avant-hier et le concert d’hier soir. Je me sens bizarrement un peu vide, comme souvent après un concert que j’attendais impatiemment et qui a été à la hauteur de mes espérances. Accessoirement, pour avoir pas mal lu son blog ces derniers mois, c’était bizarre de voir en vrai tous ces gens dont elle y parle à longueur de temps et que je ne connaissais qu’en photo, comme Zoë Keating et les quatre membres du Danger Ensemble.

J’ai rédigé un compte-rendu pour le Cargo, sauf que le webzine est en panne pour une durée indéterminée. Une fois n’est pas coutume, je publie donc le compte-rendu ici et je le rapatrierai le moment venu (sans doute un peu retouché). J’ai aussi posté quelques photos sur Flickr. Pour ceux qui voudraient se faire une idée plus précise de certains morceaux mentionnés ici, je vous renvoie à la série de vidéos tournée pour accompagner l’album et visible ici.

Je crois qu’il y a longtemps que je n’avais pas trouvé d’artistes avec qui je me sente autant en phase, c’est-à-dire fascinée à ce point aussi bien par la musique que par la personne qu’on devine derrière. Un peu comme le lien que je peux avoir à l’univers de PJ Harvey par exemple, dont j’admire la démarche générale autant que les albums. J’ai retrouvé un peu le même type d’ambiance au concert d’hier, comme explicité dans le compte-rendu.

Le compte-rendu, donc, avec quelques images :

Amanda Palmer, la Boule noire, 23/10/08

Quand Amanda Palmer nous avait annoncé en interview un spectacle théâtral un peu dingue, nous n’avions pas vraiment pris la mesure de ce que serait ce concert à la Boule noire, ni surtout de ce qu’apporterait la présence des quatre performers australiens formant le « Danger Ensemble« . C’était oublier le côté « artiste complète » qui est l’un des aspects les plus passionnants du personnage, pour qui la sortie d’un disque, par exemple, s’accompagne forcément d’un livre d’images en parallèle (celui de cet album solo est d’ailleurs co-signé par Neil Gaiman). Ceux qui s’attendaient hier à un véritable concert solo ont dû avoir une sacrée surprise.

 

 

On est frappés, dès notre arrivée, par l’ambiance qui règne à la Boule noire. De toute évidence, c’est un concert très attendu, par des fans de longue date autant que par des convertis récents. Certains ont traversé la France pour y assister. Il règne ce climat particulier qu’on rencontre aux concerts d’artistes qui font l’objet d’un culte similaire – on pense notamment à PJ Harvey, pour le mélange de surexcitation et de respect qu’on perçoit chez cette foule. Il faut avoir vu un public pourtant totalement surchauffé laisser PJ Harvey interpréter « To bring you my love » jusqu’à la toute dernière note dans un silence quasi religieux – c’était en 98 à la Cigale – pour comprendre pleinement ce que peut être le respect des fans vis-à-vis d’un artiste qu’ils vénèrent. On retrouve un peu de ça ici, ainsi que le sentiment d’une sorte de camaraderie unissant le public. C’est particulièrement frappant lors des premières parties, que la foule accueillera avec autant de patience que d’intérêt. Il faut dire qu’on a moins l’impression de voir des groupes catapultés sur scène par simple hasard de la programmation que des membres d’une même famille. Ou un spectacle de cirque, plutôt, dont le Monsieur Loyal serait Steven Mitchell Wright du Danger Ensemble, ce bonhomme à la bouille pas possible et à l’accent charmant qui vient à plusieurs reprises annoncer les numéros. Parmi les quatre artistes qui se succèdent pour interpréter deux ou trois morceaux chacun, plusieurs reviendront sur scène en compagnie d’Amanda Palmer. Zoë Keating qui parvient à créer une tension assez hallucinante avec ses solos de violoncelle envoûtants, et un Jason Webley déjanté qui implique le public de manière assez ludique sur une chanson où il le divise en deux parties pour lui faire interpréter d’un côté le chœur des trombones, de l’autre côté celui des violons.

 

 

Après avoir promis de revenir nous annoncer une nouvelle tragique, Steven Mitchell Wright se lance : « Amanda Fucking Palmer is dead », déclare-t-il avant d’entraîner le public à pousser des cris de tristesse et de joie mêlées. Le dernier morceau de Zoë Keating, qui conclut la première partie, est dédié à sa mémoire. Lorsque les quatre artistes du Danger Ensemble montent lentement sur scène dans une ambiance de funérailles, ils sont rejoints par une silhouette voilée qui est trahie par ses béquilles, pour ceux qui ne l’auraient pas reconnue (conséquence d’un petit accident survenu pendant la tournée). La silhouette s’installe derrière le clavier « Kurtweil » décoré de fleurs, elle se dévoile, et on reçoit comme un coup de poing les premières notes rageuses et intenses d’« Astronaut ».

 

 

Il faut avoir le sens du spectacle qui est celui d’Amanda Palmer pour réussir à offrir, malgré une jambe dans le plâtre, un concert aussi peu statique. Elle s’emballe et gesticule derrière son clavier, se fait parfois porter d’un bout à l’autre de la scène par ses partenaires et participe à la majeure partie des chorégraphies. Le tout début du concert, passé « Astronaut », est plutôt calme : un splendide « Ampersand », « Blake says », puis les choses sérieuses commencent. Elle annonce une chanson qui a failli ne pas figurer sur son album, écrite après la fusillade du lycée Columbine. Le violoniste Lyndon Chester égrène une liste de noms de victimes tandis que les membres du Danger Ensemble remontent sur scène pour y défiler lentement, mains sur la tête, déguisés en lycéens. Le moment est beau et grave, à l’image de la chanson. Surtout lorsque les quatre Australiens se laissent retomber à l’avant de la scène dans un ralenti hypnotique pour mimer la mort des victimes, le visage à trente centimètres à peine du premier rang, pendant qu’Amanda ponctue la chanson de « tick… tick… tick… » jusqu’au « boom » final et discret qui noue la gorge.

 

Le contraste avec « Guitar hero », juste après, est saisissant. On avait toujours soupçonné que ce serait une fabuleuse chanson de scène, mais le numéro visuel électrise encore davantage. Rejoints par Amanda à l’avant de la scène, les membres du Danger Ensemble chaussent de grosses lunettes noires à monture rouge et exécutent une chorégraphie rappelant le numéro de zombies de la vidéo tournée pour cette chanson. C’est l’un des premiers grands moments du concert. Le reste de la soirée ressemble à un jeu de chaises musicales où Amanda Palmer alternera les morceaux qu’elle joue seule au clavier, parfois accompagnée de Zoë Keating et de Lyndon Chester, et les numéros interprétés avec les performers australiens. Le tout avec une égale intensité. Dans la première catégorie, une splendide version de « Half Jack », et une reprise d’un morceau irlandais dont nous n’avons pas retenu les références, pendant lequel on la verra discrètement essuyer une larme qui a en passant fait couler son maquillage.

 

On prend conscience de l’impressionnant corpus de chansons qu’elle a déjà rassemblé en trois albums des Dresden Dolls et un album solo. Le répertoire se compose pour un tiers d’extraits de Who killed Amanda Palmer, pour un tiers de morceaux des Dresden Dolls, et pour un autre tiers de reprises parfois improbables. Le public accueille le tout avec un enthousiasme délirant qui a le bon goût de ne jamais sombrer dans l’hystérie. On est impressionné de l’entendre reprendre en chœur l’intégralité des paroles de « Coin-operated boy » (pendant laquelle les deux garçons du Danger Ensemble, munis de pancartes annonçant « Un bisou pour un sou », s’aventurent dans le public tandis que les deux filles les regardent s’éloigner d’un air désespéré). Mais c’est vrai que c’est irrésistible – la chanson elle-même, l’ambiance, le sentiment de connivence entre Amanda, son groupe et son public. Plus tard, tandis que les quatre Australiens, qui ne touchent pas d’argent sur cette tournée, passent quêter dans la foule, Amanda et Jason Webley interrompent en plein milieu une reprise du « grand maître zen » Bon Jovi pour débattre du sens de ses paroles.

 

On sent le spectacle devenir légèrement moins carré vers la fin. Le moment le plus improbable est sans doute le numéro de play-back sur « Umbrella », le tube R’n’B de Rihanna, sur fond de chorégraphie avec des parapluie qui se termine par une douche à la bière pour les premiers rangs. Au rappel, une superbe version du « Port d’Amsterdam » dans un français impeccable, avec Jason Webley à l’accordéon, tandis que Tora Hylands et Kat Cornwell du Danger Ensemble miment des prostituées à l’avant de la scène. Puis Jason et Amanda interprètent en duo l’« Elisa » de Gainsbourg repris en chœur par le public. Pour le dernier titre, un vote soumis à la foule – un morceau de l’album ou une reprise à l’ukulélé – fera pencher la balance vers la deuxième option. Ce sera « Creep » de Radiohead en solo, après qu’Amanda aura passé deux bonnes minutes à tenter d’accorder son instrument.

 

Après la fin du concert, les fans s’attardent, n’ont pas envie de quitter la salle. Ils savent qu’Amanda a coutume de prolonger les concerts par une séance de dédicaces. On la verra s’y prêter de bonne grâce, souriante et chaleureuse, pour signer albums et affiches et se laisser prendre en photo avec les gens. On quitte la salle ébloui, un peu étourdi en fait. Le concert est passé si vite qu’on ne remarque qu’a posteriori que peu de morceaux de l’album solo ont été interprétés. On le regrette un peu, d’autant qu’on aurait adoré vivre en live les deux tubes « Leeds United » et « Runs in the family ». Mais tel quel, c’était déjà un fabuleux spectacle dont on se souviendra longtemps.

 

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