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“Layers of Fear” ou la maison devenue folle

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Dans ma quête du jeu vidéo fantastique parfait, ma grande joie et ma grande frustration aura été de croiser sur mon chemin la série des Silent Hill il y a cinq ans. Série qui touche pour moi à une telle forme de perfection (dans ses trois premiers épisodes en tout cas) qu’elle allait devenir une sorte d’obsession, ainsi que l’œuvre à l’aune de laquelle je devais juger tous les autres jeux – ce qui, très souvent, revient à regarder une honnête série B en espérant vainement y retrouver des échos d’un chef-d’œuvre incontesté. Ce que j’ai trouvé d’indicible et de fascinant dans les rues embrumées et les couloirs torturés de Silent Hill, je croyais ne plus jamais le rencontrer dans un jeu.

Jusqu’à ce qu’on me conseille Layers of Fear.

Pour évacuer le sujet d’emblée, la principale réserve que j’émettrai à l’encontre de ce jeu est qu’il arpente un territoire que Silent Hill a déjà défriché ; la plupart des effets, pris séparément, y ont déjà été explorés. Le jeu m’a semblé beaucoup s’inspirer de la série, et notamment de la terrifiante démo jouable de l’épisode abandonné qui aurait dû être réalisé par Guillermo Del Toro et Hideo Kojima, démo où le joueur tournait en boucle dans un appartement qui se métamorphosait peu à peu. Le gameplay de Layers of Fear en est assez proche : caméra subjective, décor unique dont on guette les transformations successives et où l’on cherche les objets, gestes et autres déclencheurs qui font avancer le jeu en dévoilant l’histoire. Le décor est ici la maison d’un peintre où il semble que quelque chose se soit produit – quelque chose de dramatique et de terrifiant comme il se doit. Les murs sont chargés de tableaux, des objets oubliés ici et là suggèrent un contexte qui se précise peu à peu : alcoolisme, blocage créatif, problèmes conjugaux et le spectre omniprésent de la folie.

Au terme d’une première exploration de la maison, le joueur, placé face au tableau que le peintre a laissé inachevé dans son atelier, bascule soudain dans un cauchemar éveillé. Le voilà qui erre dans une enfilade de pièces qui se succèdent dans un ordre aléatoire ; on peut quitter une pièce, franchir la porte en sens inverse et se retrouver face à un nouveau décor. Les phénomènes surnaturels s’y multiplient : chutes d’objets, métamorphoses du décor autour de nous, aberrations architecturales, cris, sanglots et bruits divers qui sont autant d’échos d’un passé traumatique. Tout est fait pour déstabiliser le joueur, qui sait constamment que les choses vont déraper sans jamais savoir par où la hantise va surgir.

Plus on progresse dans le jeu, plus la folie du peintre contamine le décor, devenu un miroir de sa psyché torturée. Motif propre à Silent Hill, là encore, mais que j’avais rarement vu exploré aussi efficacement ailleurs, jusque dans la bande-son qui suggère un hors-champ terrifiant. Le malaise que suscite le jeu m’a rappelé, par moments, celui que m’inspirent les tableaux de Jérôme Bosch (l’un des rares peintres dont je sois incapable de regarder les œuvres). Peu à peu, l’architecture elle-même devient folle : meubles collés au plafond, pièce qui s’ouvrent sur de nouvelles dimensions lorsqu’on lève les yeux, passages cachés dans des recoins improbables (comme dans ce bureau décoré d’un portrait dérangeant, où la sonnerie lancinante d’un téléphone s’échappe d’un passage secret qu’il faut localiser).

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L’un des reproches formulés par certains joueurs est le manque de défi proposé, les actions se bornant souvent à ouvrir des tiroirs et explorer les pièces pour trouver des objets qui nous révèleront de nouveaux fragments de l’histoire. Un aspect que, pour ma part, je n’ai pas trouvé dérangeant, car le challenge dans un jeu vidéo m’intéresse beaucoup moins que la découverte de l’intrigue et le fait de vivre l’expérience du jeu jusqu’à son terme. Dans un jeu aussi oppressant et angoissant, qu’on s’efforce de finir le plus vite possible pour s’échapper de ce cauchemar, une relative facilité me semble même plutôt bienvenue. Le jeu lui-même est bref mais très dense, notamment par la variété des effets ; il se répète extrêmement peu. Partant de là, on sait que tout devient possible : illusions d’Escher, visions infernales, dessins d’enfant qui envahissent les murs, fantômes, poupées et tableaux dans tous les recoins, décors qui se modifient derrière votre dos, murs qui fondent ou se désagrègent, disques joués à l’envers pour mieux vous hérisser, et j’en passe.

Le résultat est un jeu qui vous maintient dans un état d’anxiété constante et vous offre des moments de trouille authentique comme je n’en avais jusque-là connu que dans Silent Hill. Pas celle qui repose sur les effets de surprise (quoique les jump scares soient ici assez malins) mais celle qui vous prend aux tripes, née de l’impression de profonde anomalie qui suinte des murs et vous donne l’impression de toucher la folie du doigt, d’explorer les méandres d’un cerveau dérangé. Si l’histoire et son dénouement restent relativement classiques, le travail sur la peur et l’étrangeté est d’une finesse que j’ai rarement vue ailleurs. Il manque sans doute un petit quelque chose qui en ferait un chef-d’œuvre mais l’ambiance, la mise en scène et le sens du détail font de Layers of Fear un voyage intense et dérangeant, à déconseiller absolument aux âmes sensibles.

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Gabriel Knight ou l’histoire secrète du vaudou

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L’un des grands drames de ma vie de gameuse aura été de n’avoir pas joué, ou si peu, lors d’une partie des années 90 qui s’avère avec le recul extrêmement féconde pour le type de jeu qui me parle le plus. L’une de mes grandes joies aura logiquement été de découvrir ensuite qu’il n’était pas trop tard pour combler certains manques, que ce soit à travers le retrogaming (qui me permit récemment de mourir à répétition dans Alone in the Dark), la compatibilité de vieux jeux avec les machines actuelles (qui me permit de tomber dans Silent Hill pour n’en jamais ressortir), l’existence d’un site comme gog.com (qui me permit de perdre quelques soirées récentes dans le Populous de mon adolescence) ou la remasterisation de certains classiques.

J’entretenais déjà une vague curiosité pour la série des Gabriel Knight, incontournable du point & click fantastique, avant de me rendre compte que le premier volet se situait à La Nouvelle-Orléans et tournait autour du vaudou. Deux raisons pour lesquelles je ne pouvais pas faire l’impasse sur ce jeu, d’autant qu’il était ressorti il y a quelques années dans une version anniversaire modernisée avec grand soin.

Gabriel Knight est un écrivain et libraire installé à Bourbon Street, beau gosse un peu futile, séducteur pas toujours subtil, qui collabore avec la police sous couvert de recherches pour un prochain roman et se retrouve à enquêter sur une série de meurtres évoquant des sacrifices vaudous. Enquête qui lui fera parcourir La Nouvelle-Orléans, avec un détour par l’Allemagne et le Bénin, pour rencontrer une galerie de personnages solidement campés et tomber amoureux de la riche et belle Malia Gedde, issue d’une éminente famille de la ville dont l’histoire se révèlera intimement liée, comme celle de Gabriel, à l’enquête en cours.

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Si le scénario n’évite pas quelques clichés (l’histoire familiale de Gabriel est un peu trop classique), et si la relation entre Gabriel et Malia aurait gagné à être approfondie pour que la dernière partie du jeu prenne toute sa mesure, on se laisse très vite embarquer par un scénario riche et prenant, une réalisation soignée et un background vraiment fouillé. L’ambiance de La Nouvelle-Orléans est joliment rendue ; le jeu parcourt un certain nombre de lieux emblématiques de la ville (Jackson Square, le lac Pontchartrain, le cimetière Saint-Louis et la tombe de la prêtresse vaudou Marie Laveau) avec une vraie attention aux détails, comme ces poteaux coiffés de têtes de chevaux qui bordent les rues du Quartier français dans l’un des tableaux. C’est d’ailleurs un peu déroutant au départ, quand on a visité certains de ces lieux, de les redécouvrir sous forme de graphismes.

Les personnages sont particulièrement réussis, tous très typés, avec des dialogues savoureux, et possèdent chacun son propre rapport à la ville, à son histoire, aux événements en cours. On s’attarde avec plaisir à explorer toutes les options de dialogue lors de chaque rencontre, moins pour faire avancer l’enquête que pour apprendre un peu mieux leur histoire. Ainsi, chacun a une approche différente du vaudou, depuis l’universitaire spécialisé dans les religions africaines jusqu’au conservateur de musée, en passant par le commerçant taciturne qui nie catégoriquement que ses plantes et gris-gris aient le moindre lien avec ces pratiques. Selon la personne qu’on interroge, Marie Laveau sera par exemple décrite comme une figure centrale de l’histoire de la ville ou un « attrape-touriste » qui ne sert qu’à masquer une réalité secrète. Le jeu possède un petit côté « Le vaudou pour les nuls » très agréable pour qui s’intéresse un tant soit peu au sujet, et passe en revue aussi bien ses origines historiques que la nature des rituels ou le nom des différents loas (l’enquête tournant beaucoup autour de deux d’entre eux, Damballah et Ogoun Badagris). L’humour pince-sans-rire et souvent très drôle de la voix qui commente les actions de Gabriel contribue également beaucoup à l’ambiance du jeu.

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Le jeu a également le bon goût de proposer un système d’indices permettant d’orienter le joueur sur des pistes qu’il aurait ignorées ; c’est qu’on se retrouverait rapidement coincé sans un coup de main de temps à autre, certaines étapes-clé du jeu étant un poil capillotractées, comme cette visite à une vieille dame qui ne vous laissera entrer que si vous avez eu la judicieuse idée de voler le col d’un prêtre dans la cathédrale Saint-Louis pour vous déguiser en prêtre à votre tour.

Tel qu’on le découvre dans cette version remasterisée, dont j’ignore dans quelle mesure elle reflète l’original, Gabriel Knight : Sins of the Fathers confirme en tout cas sa réputation de classique du genre : prenant de bout en bout et très riche aussi bien dans son écriture que dans son ambiance soignée et sa galerie de personnages mémorables. Un incontournable qui contribue à me rendre encore plus nostalgique d’une époque de l’histoire du jeu vidéo que je regrette d’avoir laissé passer, faute d’avoir eu la bonne machine au bon moment, mais que je prends encore plus de plaisir à redécouvrir avec le recul. Une vraie pépite, en tout cas, que je recommande chaudement aux amateurs de jeux d’aventure fantastiques très axés sur l’intrigue et la narration.

 

 

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Blackwell ou les fantômes de la solitude urbaine

blackwell2C’est au cours de mon exploration du domaine des point’n click à thématique fantastique que j’ai découvert The Blackwell Legacy et ses suites : une série de cinq jeux qui ne paient pas de mine au premier abord mais laissent une empreinte durable sur le joueur. Les graphismes sommaires et le gameplay classique commencent par laisser l’impression d’un jeu anecdotique quoique très agréable ; mais à mesure que l’intrigue progresse, on comprend qu’on se trouve face à une série possédant une réelle sensibilité et un vrai sens du récit.

À la mort de la tante qui l’a élevée, Rosangela Blackwell hérite d’un encombrant cadeau, un esprit nommé Joey, à l’humour pince-sans-rire et à la dégaine de détective privé façon Bogart, qui ne la lâche pas d’une semelle. Comme d’autres femmes de sa famille avant elle, Rosa n’a d’autre choix que d’accepter la mission qui est désormais la sienne : en compagnie de Joey, elle traque les fantômes perdus dans New York afin de les libérer en leur faisant prendre conscience de leur propre mort. Une mission qui va donner un sens à sa vie jusque-là très solitaire, mais qui n’est pas sans prix ; c’est ce même don qui a coûté à sa tante sa santé mentale.

Là où la série Blackwell pèche au niveau du graphisme (encore que ce côté « old school » soit finalement assez agréable), elle compense par la finesse de l’écriture mais aussi de l’interprétation. Les acteurs qui prêtent leur voix aux personnages sont tous très bons, avec une mention spéciale pour le duo Rosa/Joey dont les dialogues savoureux sont pour beaucoup dans le charme de la série. Dialogues souvent très vivants et remplis d’humour, même lorsqu’ils masquent une réalité plus mélancolique ; dans l’un des premiers jeux, on sourit lorsque Rosa, qui vient de prendre sa toute première cuite lors d’un vernissage, se voit rappeler ses « exploits » le lendemain par chaque personnage qu’elle croise. C’est une série qui, en filigrane, parle beaucoup de solitude. Celle des vivants perdus dans l’immensité new-yorkaise qui ne parviennent ni à y trouver leur place ni à accomplir leurs rêves, mais aussi celle des morts qu’il faudra, à force de persuasion, faire sortir du déni. L’un des aspects les plus poignants du jeu est ce gimmick subtil chaque fois qu’un fantôme prend conscience de sa nature : quelques secondes de silence suivies par un « Oh » lourd de sens.

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Le gameplay inventif permet d’alterner entre les deux personnages, Joey ayant accès à tous les lieux de par sa nature de fantôme là où Rosa est la seule à pouvoir agir sur les objets. Les cinq jeux sont courts, relativement faciles et vite pliés, et nécessitent d’être joués dans l’ordre, bien qu’ils présentent des intrigues a priori indépendantes : on y voit peu à peu l’univers s’affiner, les personnages apprendre à se connaître. L’appartement de Rosangela se remplit de souvenirs de ses enquêtes précédentes, les personnages secondaires d’un jeu reviennent dans les suivants, leur rôle dans le tableau d’ensemble se précise. Le deuxième jeu, Blackwell Unbound, se présente même comme une parenthèse dans le récit puisqu’on y incarne Lauren Blackwell, la tante de Rosa, du temps de sa jeunesse, alors qu’elle-même enquêtait aux côtés de Joey. Outre la mythologie propre qu’il développe, le jeu puise aussi dans le folklore new-yorkais, notamment à travers des figures réelles comme l’excentrique Joe Gould.

Le dernier jeu, The Blackwell Epiphany, tranche légèrement par sa longueur, mais aussi par la densité de l’intrigue. C’est là que tous les éléments se rejoignent pour une conclusion en apothéose, par les évènements du final comme par les émotions qu’il réveille. La fin est douce-amère, plus amère que douce d’ailleurs, mais très belle et bien plus poignante que le tout début de la série ne l’aurait laissé attendre. La boucle est bouclée, le voyage n’a pas laissé les personnages indemnes, le joueur pas tout à fait non plus, mais l’aventure a été belle. La série Blackwell est de ces jeux façon Tardis, plus grands à l’intérieur qu’à l’extérieur, qui valent presque autant pour les souvenirs qu’ils vous laissent après coup que pour le plaisir qu’ils procurent en cours de route. Une très jolie découverte.

 

 

 

 

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