Blog

Kultima Esperanza (ou l’entrée la plus longue et la plus décousue de l’année)

(Entrée postée sur MySpace le 06/07/08)

La geekette en moi est heureuse. Partie de chez elle ce matin avec le moral en berne (sans compter qu’elle était mal réveillée), elle est allée faire le plein de bonnes ondes geek à Japan Expo/Kultima et rentre toute guillerette et bondissante (nan, ce n’est pas seulement parce que je me suis acheté des badges Jack Skellington et deux T-shirts). J’ai adoré ce festival. J’ai une culture manga plutôt limitée (ça m’intéresse sans que j’aie jamais pris le temps de creuser) mais je me sentais dans mon élément, il y a quelque chose dans cette ambiance festive qui me parle vraiment. Le fait de trouver des Totoro et des Jack Skellington à tous les coins de stand doit y être pour quelque chose. Y avait aussi du Hello Kitty mais ça me touche déjà moins. Je suis fascinée par la foule hétéroclite qu’on y croise, par le côté extrêmement coloré des tenues – de la dentelle, des rayures, de la peluche, de préférence dans les tons noir et blanc, noir et rouge, noir et fuchsia. C’est là que je vois à quel point je suis attirée par toute l’esthétique manga et gothique, même si ce n’est pas réellement mon univers. (Note : s’il lit ce blog, Bruno B. Bordier est prié de s’abstenir de tout commentaire.)

 

Et puis il y a les costumes. Faute d’avoir une culture manga suffisante, j’ai dû rater pas mal de références, mais le soin apporté à leurs costumes par les cosplayeurs et autres visiteurs est proprement hallucinant. J’ai souvenir d’une scène un peu surréaliste ce matin, alors que je participais avec Laurent Genefort et Sarah Ash à une table ronde sur la fantasy : on a vu passer derrière le public un homme habillé en ange avec d’immenses ailes blanches (aussi grandes que lui sinon plus). Le public n’a pas dû s’en rendre compte, mais depuis l’estrade, on le voyait nettement. J’ai pensé aussitôt à Jant Shira, le héros de L’année de notre guerre de Steph Swainston que j’ai traduit il y a quelques années, et ça m’a donc amusée d’entendre ensuite Sarah Ash mentionner au cours du débat le mouvement « new weird » auquel se rattache justement ce livre. Accessoirement, Sarah, qui est anglaise, m’a vraiment bluffée en parlant français pendant une bonne partie de la table ronde. Il avait été question que Laurent et moi lui servions d’interprètes mais ça n’a pas été nécessaire, elle n’est repassée à l’anglais que pour une seule question. Je l’avais déjà croisée brièvement mais ça été un vrai plaisir de la revoir et de signer à la même table, elle est vraiment d’une grande gentillesse. J’en ai profité pour lui faire signer le premier volet de sa trilogie des Larmes d’Artamon, comme je n’ai encore rien lu de ce qu’elle écrit. De l’autre côté de la table, j’avais pour voisin le dessinateur Boulet qui a enchaîné les dédicaces sans temps mort tout l’après-midi (très sympa lui aussi, et je conseille son blog très rigolo en ligne ici).

 

Parmi les autres chouettes moments, une conférence donnée vendredi sur le thème de la « bit lit » avec Alain Névant et Isabelle Varange de Bragelonne. La « bit lit », c’est le surnom donné à un courant du fantastique qu’on pourrait, en schématisant grossièrement, décrire comme un équivalent littéraire de Buffy – personnages féminins aux prises avec les problèmes du quotidien aussi bien qu’avec des éléments surnaturels. Je connais mal ce sous-genre mais je participais en tant que traductrice de Kelley Armstrong dont les romans s’y rattachent. La conférence a plutôt bien pris, ça m’a permis de dire du bien de cette série que j’aime beaucoup, d’expliquer que je m’attendais à tort à un truc un peu fleur bleue mais que j’avais été surprise par l’aspect très sensuel de la série, surtout dans les volets consacré à l’héroïne loup-garou Elena. Le rapport d’amour/haine qu’elle entretient avec Clay, son amant loup-garou, est particulièrement savoureux. Et puis ça nous a permis de parler de Buffy comme les trois geeks en puissance que nous sommes (me croirez-vous si je vous dis que lors du trajet en voiture vers la soirée Bragelonne qui avait lieu ensuite, nous avons écouté la BO de l’épisode musical et que nous connaissions les paroles par cœur ?)

  

(Note pour Lionel D. : comme par hasard, le stand Bragelonne était situé à côté du stand World of Warcraft. Même quand je reste deux mois sans jouer par manque de temps, le jeu me poursuit. Une vraie malédiction, ce qui ne manque pas de sel quand on sait que mon personnage principal est une démoniste.)

 


 

À part ça, je suis embêtée. Ce matin, mal réveillée, j’ai commencé à griffonner des notes pour une entrée de blog consacrée à un sujet qui me tournait dans la tête et sur lequel j’ai déjà pas mal cogité. C’était parti de la conjonction de plusieurs éléments : une rencontre avec des lecteurs l’autre jour, un coup de blues aux allures de crise de parano qui a disparu depuis (merci Japan Expo) et la lecture du blog d’Amanda Palmer, membre des Dresden Dolls dont je parlais récemment ici. Sauf que, d’une part, je ne suis plus du tout dans le même état d’esprit que ce matin, et d’autre part, je ne sais plus trop où je voulais en venir. Essayons de trier tout ça avec ordre et méthode (ou d’en retrouver en tout cas le fil conducteur).

  

Donc, par rapport à ces rencontres avec des lecteurs. Il y a une chose qui continue à me surprendre, même si je m’y suis un peu habituée. Je n’ai pas énormément de lecteurs, mais je sais qu’il y en a parmi eux qui ont réellement été touchés par ce que j’écris. J’ai toujours l’impression que ça va paraître prétentieux d’écrire ça, mais c’est juste quelque chose que j’ai constaté au fil des années. De temps en temps, des gens viennent me parler et je vois ce truc-là dans leur regard, ils ne sont pas juste en train de me dire qu’ils ont passé un bon moment à la lecture du livre mais que ça leur a réellement parlé. Il y a quelque chose de vraiment précieux dans ces moments-là, pas seulement parce que ça fait du bien à l’ego (je mentirais si je disais le contraire) mais parce que je constate qu’à partir d’une démarche assez égoïste, puisqu’on écrit avant tout pour soi, il arrive un moment où l’on atteint quelque chose de plus universel. Un moment où l’on écrit quelque chose qui va prendre un sens pour les autres, et je crois qu’on ne le fait pas exprès, pas consciemment en tout cas. C’est un phénomène assez mystérieux. Les jours où je suis de mauvais poil et où j’ai du mal à me supporter (il y en a souvent, surtout que je traverse une phase de grosse remise en question depuis l’an dernier), je me dis que la seule chose un tant soit peu importante que j’aie faite de ma vie, c’est ça – avoir créé cette étincelle-là. Je ne sais absolument pas comment je m’y suis prise, mais il semblerait que j’y sois parfois arrivée. Les jours où j’ai le moral encore plus fluctuant, j’ai tendance à me dire que le meilleur de moi se trouve dans mes livres et que je regrette, en tant qu’individu, de ne pas être à la hauteur. Je crois qu’avoir ce genre de réflexion a changé mon rapport à ce que créent les autres – quand je suis impressionnée par un livre, un film, un disque, j’ai conscience qu’il y a derrière une personne ordinaire, sans doute aussi paumée que je peux l’être, et qui ne sait peut-être pas davantage que moi comment elle a fait ça.

  

Ce qui me ramène à une autre réflexion liée à celle-ci (vous suivez toujours à peu près ?). En tant que spectatrice/lectrice/auditrice, j’ai une tendance monomaniaque. Je ne sais pas pourquoi, parfois, une œuvre va coller de manière aussi parfaite à l’humeur du moment, au point qu’un étrange dialogue s’instaure. Je suis de nouveau dans une de ces périodes, depuis que l’album No, Virginia des Dresden Dolls est entré chez moi le mois dernier et que je ne peux quasiment rien écouter d’autre – à part les deux autres albums du groupe. Je suppose que l’organisation de l’interview d’Amanda Palmer dès la semaine suivante, qui m’a poussée à farfouiller sur le Net en quête d’infos sur le groupe, a accentué le truc. Toujours est-il qu’en ce moment, rien d’autre ne me parle autant. Du coup, quand je fais des pauses entre deux pages de traduction, je me retrouve en train de chercher des vidéos des Dresden Dolls sur YouTube, de lire le blog d’Amanda ou d’explorer les paroles de ses chansons. C’est toujours un plaisir particulier de découvrir une réelle profondeur dans les textes d’un groupe dont la musique nous emballe. Je suis vraiment impressionnée par la plume d’Amanda Palmer, son humour très noir mais jamais méchant, souvent teinté de tendresse, ses métaphores très imagées (j’aime particulièrement celle-ci qui me fait bien marrer dans Mandy goes to med school : « Giddy as a gang banger with a set of sutures where his magic johnson ought to be »). Je ne peux qu’admirer quelqu’un qui manie aussi parfaitement le bizarre et l’absurde que l’émotion sincère. Les chansons que je préfère sont les plus drôles et/ou les plus énergiques (Girl anachronism, Night reconnaissance, Lonesome organist rapes page-turner), mais parmi les plus poignantes, certaines me prennent vraiment aux tripes (Half Jack, Boston ou encore The Gardener qui m’obsède en ce moment comme le font les chansons qui finissent tôt ou tard par m’inspirer des nouvelles).

 

Le clip de Night reconnaissance avec des nains de jardin dedans
(et le pire, c’est que ça correspond aux paroles)

En bref, je suis de plus en plus fascinée par le personnage, par l’intelligence et l’habileté de ses textes, par son énergie, son côté exubérant, même par la manière dont elle arrive à être vulgaire avec une certaine classe (par exemple dans sa façon de jurer, qui m’a beaucoup amusée pendant l’interview). Et j’aime la façon dont elle se dévoile dans son blog, qui est un des plus intéressants que je connaisse. Le ton est souvent très drôle, très personnel en tout cas, on y voit l’individu se dessiner en filigrane. Les anecdotes sont souvent savoureuses, par exemple lorsqu’elle raconte sa récente opération des cordes vocales et les deux semaines au cours desquelles elle a dû rester sans parler. Parfois, elle s’y dévoile d’une manière extrêmement touchante – je pense à une entrée plus ancienne que j’ai lue il y a quelques jours, où elle parle d’une lettre remise par un jeune fan après un concert et qui l’avait profondément troublée. Non seulement sa manière d’en parler est très belle, mais je ne peux qu’admirer cette capacité à se mettre à nu de cette façon. C’est curieux, mais autant je n’ai aucun scrupule à glisser des éléments très personnels dans mes textes, au point que certains sont quasi autobiographiques, autant j’aurais du mal à le faire de manière aussi directe sur un blog. Il y a déjà trop de choses pas reluisantes que j’essaie de ne pas montrer à mes amis et collègues, autrement que par le biais de la fiction. Pour ça aussi, l’écriture est précieuse, dans la façon dont elle permet de transformer ce qu’il y a de mauvais en soi en quelque chose de positif (faute de meilleur terme).

  

J’imagine que c’est ça, à son tour, qui permet ce phénomène d’adéquation dont je parlais plus tôt : en tant que lecteur, savoir que quelqu’un d’autre a parfois eu certaines pensées honteuses ou éprouvé certaines choses dont on hésite à parler, et qu’il a réussi à les mettre en mots. Dans les moments de déprime, je me passe parfois la chanson de Joni Mitchell intitulée Don Juan’s reckless daughter : à travers l’image d’un aigle et d’un serpent, elle met en scène les contradictions de l’être humain, tiraillé entre le corps et l’esprit, les sens et la raison. J’ai toujours trouvé apaisant de savoir que quelqu’un avait su mettre en images ces choses-là de cette façon. Je savais qu’on pouvait en parler avec angoisse, peut-être avec colère, mais pas avec cette espèce de lucidité tranquille que je trouve magnifique. Ça m’est précieux de savoir qu’une personne au moins a su le dire comme ça.

   

Et j’en reviens à ma question de départ sur cette adéquation qui se produit parfois avec une œuvre. Qu’est-ce qu’on y cherche exactement ? Qu’est-ce que je cherche en ce moment dans la musique des Dresden Dolls, qu’est-ce que je cherchais l’an dernier dans l’un des albums de Jesse Sykes, qu’est-ce que je cherche dans les livres de Nancy Huston ou de Stephen King ? Peut-être simplement une réponse à des questions que je n’arrive pas à formuler. J’ai l’impression qu’il y a de ça dans le rapport très fort qu’on noue avec certaines œuvres : non seulement savoir que quelqu’un d’autre a déjà ressenti ça et a su le dire, mais peut-être se laisser convaincre, brièvement, que les réponses à nos questions sont là. En faisant semblant d’oublier que les gens qui ont créé cette œuvre sont aussi paumés que nous. Finalement, ce n’est pas si loin du besoin qu’ont les enfants de croire que les adultes savent tout – on a toujours besoin de croire que quelqu’un, quelque part, a réponse à tout. Même quand on sait que ce n’est pas vrai, on fait semblant.

  

Tout ça pour dire que cette problématique me fascine depuis un bon bout de temps sans que j’arrive réellement à la formuler. Je crois que l’intérêt que je porte au blog d’Amanda Palmer depuis quelques mois me renvoie à ça. J’ai l’impression de me trouver des deux côtés à la fois. Je suis d’une part l’auditrice qui en apprend un peu plus sur la personne qui crée ces chansons incroyables, et d’autre part l’auteur qui cherche toujours à savoir comment ça se passe pour les autres. Ce qui se passe dans leur tête quand ils créent, comment ils gèrent tel ou tel aspect auquel j’ai pu être confrontée. Quel rapport ils entretiennent à leur création et aux gens qui la reçoivent. Là, je parle d’une personne qui a au moins mille fois plus d’auditeurs que je n’ai de lecteurs, donc ce n’est pas du tout le même cas de figure, mais il m’est arrivé de vraiment me reconnaître dans certaines choses qu’elle a écrites sur le sujet (par exemple le fait d’avoir perdu en partie son enthousiasme pour la musique qu’elle écoute parce que « ça lui rappelle le boulot »). C’est comme lire Stephen King parlant de son expérience dans Ecriture : c’est dit avec une telle simplicité que toute personne ayant ne serait-ce que tenté d’écrire un jour s’y reconnaît forcément. Pour ça aussi, c’est agréable de savoir que quelqu’un d’autre a dit ces choses-là.

  

Fin de cette entrée particulièrement longue et décousue. Je ne suis pas sûre d’avoir réussi à dire ce que je voulais. Mais ce rapport un peu schizo à la création, « être des deux côtés à la fois », est pour moi un des aspects les plus intrigants et les plus passionnants que j’ai découverts depuis que je publie. D’ailleurs, pour la petite histoire, il y a dix ans ce mois-ci que j’ai écrit « Le nœud cajun » qui allait devenir mon premier texte publié. Il s’en est passé des choses pendant tout ce temps.

 

Pour ceux qui se poseraient la question, le titre de cette entrée est un clin d’œil à Ultima Esperanza, l’une des chansons de l’album No, Virginia des Dresden Dolls. Je crois que ce jeu de mots débile s’imposait.

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *


The reCAPTCHA verification period has expired. Please reload the page.