Blog : juillet 2015

Blackwell ou les fantômes de la solitude urbaine

blackwell2C’est au cours de mon exploration du domaine des point’n click à thématique fantastique que j’ai découvert The Blackwell Legacy et ses suites : une série de cinq jeux qui ne paient pas de mine au premier abord mais laissent une empreinte durable sur le joueur. Les graphismes sommaires et le gameplay classique commencent par laisser l’impression d’un jeu anecdotique quoique très agréable ; mais à mesure que l’intrigue progresse, on comprend qu’on se trouve face à une série possédant une réelle sensibilité et un vrai sens du récit.

À la mort de la tante qui l’a élevée, Rosangela Blackwell hérite d’un encombrant cadeau, un esprit nommé Joey, à l’humour pince-sans-rire et à la dégaine de détective privé façon Bogart, qui ne la lâche pas d’une semelle. Comme d’autres femmes de sa famille avant elle, Rosa n’a d’autre choix que d’accepter la mission qui est désormais la sienne : en compagnie de Joey, elle traque les fantômes perdus dans New York afin de les libérer en leur faisant prendre conscience de leur propre mort. Une mission qui va donner un sens à sa vie jusque-là très solitaire, mais qui n’est pas sans prix ; c’est ce même don qui a coûté à sa tante sa santé mentale.

Là où la série Blackwell pèche au niveau du graphisme (encore que ce côté « old school » soit finalement assez agréable), elle compense par la finesse de l’écriture mais aussi de l’interprétation. Les acteurs qui prêtent leur voix aux personnages sont tous très bons, avec une mention spéciale pour le duo Rosa/Joey dont les dialogues savoureux sont pour beaucoup dans le charme de la série. Dialogues souvent très vivants et remplis d’humour, même lorsqu’ils masquent une réalité plus mélancolique ; dans l’un des premiers jeux, on sourit lorsque Rosa, qui vient de prendre sa toute première cuite lors d’un vernissage, se voit rappeler ses « exploits » le lendemain par chaque personnage qu’elle croise. C’est une série qui, en filigrane, parle beaucoup de solitude. Celle des vivants perdus dans l’immensité new-yorkaise qui ne parviennent ni à y trouver leur place ni à accomplir leurs rêves, mais aussi celle des morts qu’il faudra, à force de persuasion, faire sortir du déni. L’un des aspects les plus poignants du jeu est ce gimmick subtil chaque fois qu’un fantôme prend conscience de sa nature : quelques secondes de silence suivies par un « Oh » lourd de sens.

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Le gameplay inventif permet d’alterner entre les deux personnages, Joey ayant accès à tous les lieux de par sa nature de fantôme là où Rosa est la seule à pouvoir agir sur les objets. Les cinq jeux sont courts, relativement faciles et vite pliés, et nécessitent d’être joués dans l’ordre, bien qu’ils présentent des intrigues a priori indépendantes : on y voit peu à peu l’univers s’affiner, les personnages apprendre à se connaître. L’appartement de Rosangela se remplit de souvenirs de ses enquêtes précédentes, les personnages secondaires d’un jeu reviennent dans les suivants, leur rôle dans le tableau d’ensemble se précise. Le deuxième jeu, Blackwell Unbound, se présente même comme une parenthèse dans le récit puisqu’on y incarne Lauren Blackwell, la tante de Rosa, du temps de sa jeunesse, alors qu’elle-même enquêtait aux côtés de Joey. Outre la mythologie propre qu’il développe, le jeu puise aussi dans le folklore new-yorkais, notamment à travers des figures réelles comme l’excentrique Joe Gould.

Le dernier jeu, The Blackwell Epiphany, tranche légèrement par sa longueur, mais aussi par la densité de l’intrigue. C’est là que tous les éléments se rejoignent pour une conclusion en apothéose, par les évènements du final comme par les émotions qu’il réveille. La fin est douce-amère, plus amère que douce d’ailleurs, mais très belle et bien plus poignante que le tout début de la série ne l’aurait laissé attendre. La boucle est bouclée, le voyage n’a pas laissé les personnages indemnes, le joueur pas tout à fait non plus, mais l’aventure a été belle. La série Blackwell est de ces jeux façon Tardis, plus grands à l’intérieur qu’à l’extérieur, qui valent presque autant pour les souvenirs qu’ils vous laissent après coup que pour le plaisir qu’ils procurent en cours de route. Une très jolie découverte.

 

 

 

 

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Der Samurai

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En avril dernier, je participais au festival Mauvais Genre en tant que membre du jury où je faisais la connaissance du cinéaste allemand Till Kleinert, dont le film Der Samurai avait remporté le grand prix lors de l’édition 2014. Pour avoir beaucoup discuté de films ou de jeux vidéo avec Till, dont le point de vue sur les films en compétition rejoignait souvent le mien, j’étais très curieuse de découvrir son univers et son travail. Ce fut chose faite dès mon retour du festival où je m’empressai de regarder Der Samurai, encore inédit en France hors festivals, via un lien que Till m’avait gentiment fourni.

C’est toujours un grand plaisir, quand on a sympathisé avec quelqu’un, de découvrir non seulement qu’on n’est pas déçu par son univers, mais qu’on est même sincèrement impressionné. Der Samurai est l’un de ces films étranges qui cherchent à suivre des pulsion narratives, des envies esthétiques, des associations d’idées, plutôt que de se conformer à des codes. Selon sa sensibilité, on se fera happer totalement ou bien on restera au bord de la route. Pour ma part, j’ai trouvé le film fascinant par sa narration minimaliste, son jeu sur les sous-entendus et les symboles (Till Kleinert revendique en interview l’influence des frères Grimm), ainsi que par la présence troublante, quasi charnelle, du personnage incarné par un Pit Bukowski aux mines hallucinées : le samouraï androgyne du titre, double tordu du héros ou incarnation de ses désirs enfouis, de sa violence reniée.

Trois mois plus tard, il m’en reste des souvenirs flottants et tenaces à la fois, des images fortes et une ambiance hypnotique qu’il me tarde de retrouver sur grand écran. Der Samurai sort ce mercredi en France. Je vous renvoie à cette critique qui vous en parlera mieux que moi et vous laisse en découvrir la bande-annonce.

 

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Ethan Carter ou l’énigme d’une disparition

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Voilà un moment que je n’ai pas parlé ici de mes aventures vidéoludiques ni de ma quête du jeu fantastique parfait (forcément vouée à l’échec puisque Silent Hill 2 est déjà derrière moi). J’aurais pu évoquer ce monument de bizarrerie qu’est Catherine, ou la très jolie série formée par The Blackwell Legacy et ses suites. Mais c’est The Vanishing of Ethan Carter qui m’a donné envie de reprendre le clavier. Le joueur y incarne Paul Prospero, enquêteur de l’étrange et du surnaturel, capable de reconstituer le déroulement d’un crime à partir de visions qui surviennent lorsqu’il se trouve sur les lieux. Il est appelé à Red Creek Valley pour résoudre le mystère de la disparition d’un jeune garçon, Ethan Carter, avec lequel il a correspondu et qui savait, nous apprend Paul, beaucoup trop de choses pour son âge.

Le jeu se présente comme une lente promenade dans des paysages baignés d’une douce lumière automnale qui donne envie de s’arrêter pour admirer le décor. Paul Prospero ne croisera personne au cours de son enquête : la ville est déserte, les bâtiments abandonnés, mais hantés par le souvenir d’événements violents. Parfois, on découvre un élément pas tout à fait à sa place, un objet abandonné, une trace de sang, qui permettent au joueur, à travers des visions oniriques, de retracer les événements qui se sont déroulés dans la ville. C’est l’une des plus belles idées du jeu, aussi simple dans sa conception qu’elle est passionnante dans son exécution. On prend un grand plaisir à reconstituer la chronologie des scènes spectrales que l’on voit apparaître sur les lieux des crimes. D’autant que le jeu se targue de ne pas prendre le joueur par la main et le laisse découvrir par lui-même la marche à suivre ; la résolution de la première scène de crime procure un plaisir de jeu immense. C’est aussi à mon sens l’une des faiblesses du gameplay, car on peut facilement passer à côté d’énigmes dont la résolution est essentielle à l’intrigue, pour devoir ensuite refaire tout le chemin en sens inverse. J’avoue m’être souvent référée à la solution pour terminer le jeu, pas tant parce que je séchais sur une énigme que par peur de rater une étape cruciale.

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The Vanishing of Ethan Carter frappe aussi par son ambiance contemplative, plus mélancolique qu’effrayante, qui invite le joueur à prendre son temps. D’autant que le jeu a d’ailleurs le bon goût d’être très court : on peut le terminer sans mal en une petite semaine. Le réalisme des graphismes accentue cette impression de promenade paisible, que la menace sourde que l’on sent poindre sous la surface ne gâche jamais tout à fait. Petit à petit, on découvre le passé de ces lieux, les différents protagonistes d’un drame dont on ne comprendra réellement les enjeux que lors du dénouement. J’ai été impressionnée également par la finesse d’un scénario qui se fait passer pour moins subtil qu’il ne l’est en réalité, quitte à jouer sur des clichés qui ont parfaitement leur raison d’être. À la veille de terminer le jeu, j’aurais dit que l’intrigue était son point faible. J’ai changé d’avis en découvrant la fin belle et mélancolique à laquelle j’ai beaucoup repensé depuis, et qui éclaire sous un jour nouveau un scénario plus audacieux qu’il n’y paraît au départ.

Le jeu m’a curieusement rappelé Alan Wake, relative déception dont The Vanishing of Ethan Carter prend en quelque sorte le contrepied. Le premier se faisait passer pour plus intelligent qu’il ne l’était. Le second offre une splendide variation à partir d’éléments communs, beaucoup plus finement utilisés ici. Ils sont toutefois très différents dans leur forme : Alan Wake reposait beaucoup plus (beaucoup trop) sur l’action là où Ethan Carter est un point’n’click qui fait appel à l’intuition beaucoup plus qu’aux réflexes. Sans doute le type de gameplay qui me parle le plus, et que je compte explorer davantage (notamment à travers Gabriel Knight : Sins of The Fathers que je viens de commencer).

Sur le papier, ça semblait un jeu parfait pour moi ; sur écran, c’est une très jolie surprise, et un incontournable pour ceux qui s’intéressent comme moi aux jeux fantastiques plus axés sur la narration que sur l’action. Une belle expérience dont le souvenir continue à vous accompagner ensuite.

 

 

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