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Rosie, quatorze ans après

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En ces temps où tout devient accessible en trois clics grâce à Internet, on en oublie ce que c’est de courir après un film, un livre ou un album devenu introuvable et de mettre enfin la main dessus. Voilà quatorze ans que j’attendais l’occasion de revoir Rosie, premier film de la cinéaste belge Patrice Toye, sorti en catimini en France en 1999 et qui n’était jusqu’à récemment jamais paru en DVD. Rosie m’avait, sur le moment, laissé une impression un peu mitigée, mais j’y ai très souvent repensé depuis. Le fait d’avoir énormément écouté sa sublime bande-son signée John Parish, raison même pour laquelle je m’étais intéressée au film au départ, a certainement joué.

Le film s’ouvre dans une maison de redressement où Rosie vient d’être admise, pour des raisons qui seront dévoilées tout à la fin. Elle décline son identité devant la caméra. Rosita Cecilia Maria, 13 ans, pas de parents, une sœur, Irene, un frère, Michel. Sauf qu’en réalité, Irene n’est pas la sœur mais la mère de Rosie. Elle l’a eue très jeune, à moins de quatorze ans, soit l’âge qu’a Rosie elle-même quand commence le film. Rosie souffre de ne pas pouvoir appeler Irene « maman » devant les autres et sent confusément que sa présence complique la vie de sa mère. Quand Michel, le frère d’Irene, se retrouve sans argent et vient habiter chez elles, alors même qu’Irene démarre une nouvelle relation amoureuse, Rosie passe de plus en plus de temps à faire les quatre cents coups avec son nouvel ami Jimi, loin du regard des adultes. Entre les non-dits des uns, les maladresses des autres et la naïveté d’une gamine qui interprète le monde à sa façon, tous les éléments sont réunis pour mener au drame.

À chacune des deux visions, j’ai ressenti le même mélange d’émotion et d’agacement passager. Le film n’est pas parfait, certaines scènes sont un peu forcées, certains dialogues ont du mal à convaincre. Et surtout, l’évolution des relations des personnages n’est pas toujours amenée de manière très cohérente (la haine progressive de Rosie vis-à-vis de Michel, par exemple, sonne un peu faux). Et pourtant, voilà quatorze ans que l’image de cette gamine livrée à elle-même, avec sa bouille rêveuse, ses barrettes et sa fausse fourrure, me poursuit. Je crois que plus que l’intrigue, c’est la façon qu’a Patrice Toye de filmer Rosie qui me touche, la lumière onirique qui baigne les scènes où elle vit sa vie loin des adultes, et qui contraste avec la banalité un peu sordide de l’appartement qui est son quotidien. Soulignées par la musique de John Parish, en particulier le thème rattaché à Rosie, ces images-là sont de toute beauté.

À la deuxième vision, une fois qu’on sait vers quoi tend l’intrigue, on est tout de même frappé par tout ce qui se dit en filigrane. La façon dont les circonstances vont pousser Rosie, par naïveté, à commettre une erreur irréparable ; les circonstances de sa naissance, qui nous sont dévoilées par petites touches et renforcent le tragique de l’ensemble ; la façon dont elle-même se rêve mère et femme à l’âge exact où la vie de sa mère a basculé (voir la scène où, avec une terrifiante insouciance, Rosie kidnappe un bébé pour jouer à la maman). Et puis il y a le personnage central de Jimi, vu par les yeux d’une gamine qui rêve au prince charmant, et dont le rôle exact ne se dévoile que sur la fin. Les scènes qui tournent autour de lui sont peut-être les plus belles, les plus spontanées, et finalement les plus tristes de l’ensemble.

Non, Rosie n’est pas un film parfait. Mais il en est curieusement venu, ces quatorze dernières années, à faire partie de ma mythologie personnelle.

 

 

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Don’t be afraid of the dark

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Au sujet de ce film, le dernier Mad Movies disait : « (….) preuve une fois encore qu’un récit d’épouvante ne peut fonctionner s’il n’est pas aussi un (mélo)drame. » Phrase qui a achevé de me convaincre de regarder ce film qui m’intriguait déjà beaucoup. C’est depuis toujours mon credo en matière de fantastique, et la raison pour laquelle tant de films du genre m’exaspèrent ou me déçoivent. Voir Livide, autre sortie récente en DVD, qui retrouvait les défauts que je reproche trop souvent aux films fantastiques français (voir Saint-Ange ou le Silent Hill de Christophe Gans) : esthétisant mais désespérément creux, avec une absence de logique interne qui m’empêche d’adhérer.

Plutôt que de logique, je devrais peut-être parler d’échos. Don’t be afraid of the dark en est une illustration habile. Dès les premières scènes, la situation est posée. D’un côté, une immense bâtisse ancienne hantée par un drame du passé. De l’autre, une petite fille ballottée entre des parents divorcés qui s’en contrefichent. La rencontre des deux ne peut qu’ouvrir une brèche sur le surnaturel et sur un drame potentiel. Ce qui est terrifiant ici, ce ne sont pas ces minuscules créatures qui hantent le sous-sol de la maison. C’est la démission des parents de Sally, l’indifférence d’adultes qui ne cherchent ni à la comprendre, ni à l’écouter. Dès le départ, elle est doublement seule face à l’indicible. « Ma mère m’a donnée à mon père », dit-elle à sa belle-mère avec une effrayante lucidité. Toute la force du film est là : dans ces échos, précisément. Développer une mythologie interne avec ses règles propres est une chose ; mais elle ne fonctionnera que si des liens se créent avec le réel, avec les personnages. L’échec de Livide, comme de tant d’autres films fantastiques, était là pour moi.

Le film est classique dans son intrigue et dans son ambiance comme dans sa progression. Il ne prétend pas révolutionner le genre, simplement proposer une variation habile sur des thèmes connus. C’est sa densité émotionnelle qui offre ce « petit truc en plus » qui le distingue. La terrifiante solitude de la petite Sally (interprétée par l’épatante Bailee Madison), mais aussi la relation qui se noue peu à peu avec sa nouvelle belle-mère (incarnée par Katie Holmes), la seule qui cherche à établir un dialogue et la considère comme autre chose qu’un bibelot un peu encombrant. Visuellement, le film offre de jolies trouvailles, notamment dans sa façon d’adopter le regard d’une petite fille qui mène une existence nettement distincte de celle des adultes : leurs routes se frôlent la plupart du temps sans se croiser (voir la scène de la réception, vers la fin, où la dichotomie saute aux yeux, chacun des personnages étant alors enfermé dans sa propre histoire). On regrettera peut-être quelques plans trop rapprochés sur les créatures qui fascinaient beaucoup plus quand elles n’étaient que des ombres furtives dans les recoins. Mais tout le fantastique que j’aime est là. Dommage que le film de Troy Nixey soit sorti directement en DVD. Plus que La Dame en noir, autre film classique mais raté aux trois quarts, c’est Don’t be afraid of the dark que j’aurais aimé voir sur grand écran.

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"Les Autres"

 

 

 

La tarte à la citrouille fut finalement dégustée devant Les Autres. À la troisième vision, je suis toujours aussi impressionnée par la virtuosité du film d’Alejandro Amenábar. C’est peut-être le plus beau film fantastique que j’aie vu ces dix dernières années. C’est en tout cas l’un des plus denses, et l’un de ceux qui osent aller au bout de cette règle d’or du genre, à mes yeux, qu’est la nécessité d’une logique interne forte.

 

L’histoire des Autres est classique. Dans l’Angleterre de la Seconde Guerre mondiale, Grace vit seule dans un manoir isolé avec ses enfants Anne et Nicholas. Les deux enfants sont atteints d’une maladie qui leur interdit d’être exposés à la lumière ; les rideaux du manoir sont constamment tirés. Trois serviteurs en quête de travail frappent à la porte de Grace. Ils semblent attendre quelque chose. Pendant ce temps, la petite Anne affirme avoir parlé à un autre enfant, Victor, qui habiterait les lieux mais que personne ne voit jamais.

 

C’est la première des deux histoires que raconte Les Autres. L’autre ne se dévoile qu’à partir de la deuxième vision. On pourrait croire qu’il s’agit d’un de ces films qui se reposent entièrement sur une révélation finale et ne prennent pas la peine d’offrir autre chose au spectateur. Or, c’est tout le contraire. J’irai jusqu’à dire que Les Autres ne commence réellement qu’avec le générique de fin. À partir de là, la vision du film ne sera plus jamais la même. Le point de vue adopté change légèrement ; les scènes se chargent de non-dits, les dialogues prennent un double sens qui nous avait échappé jusque là. Je connais peu de films fantastiques qui soient d’une telle finesse dans l’attention portée à ces détails : toute l’histoire se déroule, presque littéralement, entre les lignes. C’est l’histoire d’une maison qui est peut-être hantée, ou peut-être pas. Mais c’est aussi un conte sur le déni et l’acceptation, le secret et la vérité, l’oubli et la mémoire. Dualité symbolisée par le jeu d’ombres et de lumières induit par la maladie des enfants, et tous ces rideaux que l’on ouvre et ferme constamment : on peut vivre caché dans l’ombre ou laisser entrer la lumière, il n’appartient qu’à soi d’en décider.

 

Au cœur de tous ces enjeux, un personnage me touche particulièrement, celui de la petite Anne tiraillée entre deux vérités, deux visions du monde. Tous les personnages sont d’une richesse et d’une complexité remarquables, mais Anne l’est d’autant plus par la position centrale qu’elle occupe : elle est toujours à deux doigts de percer le mystère que sa mère s’obstine à nier, mais elle n’a pas les mots pour le dire. La petite Alakina Mann, qui ne devait pas avoir plus de dix ans à l’époque du tournage, l’incarne avec un aplomb et une finesse impressionnantes. Et puis il y a la Grace de Nicole Kidman, agaçante et poignante à la fois, braquée sur ses principes et refusant d’entendre une vérité qui risque d’ébranler sa vision du monde.

 

Les Autres est sorti il y a tout juste dix ans. On dispose désormais d’assez de recul pour pouvoir affirmer qu’il s’agit d’un authentique chef-d’œuvre du cinéma fantastique.

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"Melancholia" ou la fin du monde en huis clos.

 

 

 

Soyons clairs, s’il y a un thème qui ne me parle pas en règle générale, c’est bien celui de la fin du monde. Sans doute parce qu’il est souvent associé à un type de film catastrophe dont je ne suis pas très cliente. Mais la fin du monde en huis clos filmée par Lars Von Trier sous un titre énigmatique, c’était assez intriguant pour tenter le coup. D’autant que la bande-annonce, toute imprégnée d’une espèce de vague angoisse lancinante, m’avait fait pas mal d’effet. En sortant de la projection, je ne savais pas dans quelle mesure le film avait répondu à mes attentes, mais le moins qu’on puisse dire est qu’il m’a réconciliée avec Lars Von Trier – après avoir adoré Breaking the waves et la série The Kingdom, j’avais jeté l’éponge après la double déception de Dancer in the dark et des Idiots.

 

Drôle de film que ce Melancholia. Par sa construction, d’abord, qui juxtapose deux parties extrêmement différentes et reliées très lâchement entre elles. Dans la première, Claire (Charlotte Gainsbourg) organise le luxueux mariage de sa sœur Justine (Kirsten Dunst). Tout est calculé à la perfection, mais tout se délite peu à peu. Les mariés arrivent en retard, les rancunes familiales ressurgissent lors des discours et Justine, dépressive, commence à perdre pied, incapable de continuer à sourire et à mentir aux convives. Dans la deuxième partie, Claire et son mari John (Kiefer Sutherland) accueillent Justine qui a sombré pour de bon dans la dépression. Claire est angoissée : une planète baptisée Melancholia approche de la Terre et risque d’entrer en collision avec elle dans quelques jours à peine.

 

Peut-être qu’une partie de la fascination qu’exerce le film tient à ses ellipses frustrantes. On regrette à plusieurs reprises que certains thèmes ne soient pas exploités davantage, avant de comprendre qu’ils le sont peut-être finalement en creux. Comme par exemple le lien évasif entre ces deux parties, entre les deux thèmes du film : la dépression et la fin du monde. Deux moments où l’on cesse de jouer une comédie à la mécanique trop bien huilée, soudain devenue absurde. D’un côté, les convives du mariage qui souhaitent à Justine d’être heureuse, qui disent la trouver radieuse alors qu’elle ne l’est manifestement pas ; de l’autre, les apparences auxquelles Claire, en bonne mère de famille pragmatique, s’accroche jusque au bout… Autant de liens qu’on établit après coup, alors que leur absence nous avait un peu déçu sur le moment.

 

De la même manière, on est déstabilisé de voir le film adopter le point de vue de Claire dans la deuxième partie, alors que la première semblait poser Justine comme personnage central. Elle semblait pourtant tout indiquée pour nous faire vivre de l’intérieur la fin du monde : ce n’est pas un hasard si la planète Melancholia porte le nom du mal qui l’afflige. Il semble presque exister un lien ténu unissant Justine et cette planète. Mais l’inversion progressive des rôles rend finalement le film plus poignant. Claire voit son monde si solide vaciller à l’approche de la planète, alors que Justine qui semblait si fragile, incapable de fonctionner dans la société ordinaire des hommes, se révèle d’un calme impressionnant : elle est finalement la seule capable de regarder la mort en face.

 

Deux aspects m’ont particulièrement frappée par leur justesse, chacun associé à l’une des deux sœurs. Le premier, le plus inattendu peut-être, c’est la mise en scène de la dépression. Je parlais ici récemment de la difficulté à parler de dépression tant l’expérience est propre à chacun et impossible à partager. Mais il se passe ici quelque chose d’assez fort dans les séquences du mariage. Tout passe par de petits détails : les absences répétées de Justine, les regards lointains de Kirsten Dunst, l’éloignement progressif au sens propre comme au figuré. Je crois que tous ceux qui ont connu un jour un état dépressif reconnaîtront là quelque chose de très vrai. Le cinéaste et son actrice parviennent à montrer avec une grande subtilité la muraille qui sépare le dépressif de ceux qui l’entourent. Il faudrait être heureux, interagir avec les autres, être là tout simplement, mais les sourires sonnent faux et les silences ou les larmes prennent progressivement le dessus. Le film réussit à toucher du doigt cet état particulier ainsi qu’à montrer les tensions qu’il peut provoquer dans les interactions humaines.

 

L’autre aspect, plus attendu compte tenu du sujet, c’est la trouille absolue face à l’imminence de la fin. Cette émotion-là, c’est Charlotte Gainsbourg qui l’incarne et lui donne corps, jusqu’à la transmettre au spectateur. Comment se préparer, comment se résigner à l’impuissance, et tout simplement, comment attendre la fin quand on sait qu’elle est si proche, à cinq ou dix minutes de là ? La toute dernière partie du film est particulièrement éprouvante à cet égard. Je le disais plus haut, je n’aime pas les fins du monde, mais celle-ci est terrible – et d’autant plus terrifiante que la cause de cette fin est visible à l’œil nu en plein ciel. Melancholia n’est peut-être pas un chef-d’œuvre, mais c’est un film qui commence par vous décevoir légèrement et finit par vous secouer vraiment. Et qui appelle à une deuxième vision pour traquer à nouveau les liens indéfinissables qui en unissent les thèmes et les personnages.

 

  

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Tomboy

 

 

 

Je ne sais plus à quand remonte ma dernière incursion au cinéma, mais je me rappelle qu’une bande-annonce m’avait marquée. Une famille s’installe dans un nouveau quartier ; l’un des enfants fait connaissance avec ses voisins et se présente sous le nom de Michaël. Mais dans l’extrait suivant, on entend sa mère l’appeler Laure. Jusque là, on n’a pas mis en doute un seul instant le fait que « Michaël » soit un petit garçon. Tout le film est déjà là, dans cet enchaînement de quelques secondes. Tomboy de Céline Sciamma est un film un peu longuet dans sa première partie, qui installe les personnages à travers une suite de scènes de vie ordinaire. Les rapports entre les enfants, la complicité qui unit Laure à sa petite sœur Jeanne, les jeux de la bande de gamins sonnent juste tout du long. Ils ont un langage à eux, une logique particulière, qui ne sont pas ceux des adultes, ce que le film montre très bien.

 

Mais ces scènes ordinaires ne le sont pas tant que ça, et c’est là que Tomboy est troublant. On vit toute cette histoire du point de vue de Laure/Michaël, dont le mensonge peut être découvert à chaque instant. Les garçons acceptent sans trop de mal ce nouveau copain de jeux, et Lisa, la seule fille de son âge, s’attache très vite à ce garçon qu’elle trouve « pas comme les autres ». Plus le mensonge s’éternise, plus on sait que la chute sera rude – les vingt dernières minutes, d’une cruauté dépouillée, sont extrêmement poignantes. Elles le sont d’autant plus qu’on accepte finalement dès le départ l’existence de Michaël comme son identité véritable. C’est Laure qui ressemble à un masque. Zoé Héran, qui incarne le personnage, est stupéfiante. On ne sait jamais trop si l’on voit à l’écran une petite fille habillée en garçon, ou un petit garçon aux traits un peu féminins.

 

Le film ne plaira certainement pas à tout le monde, ne serait-ce que par ce parti pris de s’attarder sur le quotidien dans la première partie sans développer d’intrigue autre que ce qui découle de ce jeu de masques. Mais il y a dans la plupart des scènes une très belle façon de filmer les êtres de près, de s’attarder sur les corps et les visages. Et le personnage de Laure/Michaël est poignant dans sa quête d’identité. Au point qu’il continue d’exister, et de nous hanter, après la fin du film.

 

 

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