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‘Words of Radiance’, un voyage au long cours

The Way of Kings par Michael Whelan

(c) Michael Whelan

Ceux qui m’ont croisée ces derniers mois m’auront sans doute entendue parler de mon gros chantier de traduction en cours, qui est aussi une forme de record personnel : Words of Radiance de Brandon Sanderson, suite de La Voie des rois (The Way of Kings) et deuxième volet de la série des Archives de Roshar (The Stormlight Archive). Un record, disais-je, car si La Voie des rois pesait dans les mille pages en V.O., Words of Radiance lui est encore supérieur en taille. Quoique je ne sois pas la dernière à insister sur le volume du bestiau (notamment pour râler sur mon absence de vacances cet été), j’ai constaté que les gens s’étonnaient quand je leur apprenais que la longueur du roman n’était pas sa vraie difficulté. D’où l’envie de m’expliquer sur ce point, d’autant plus que je parle rarement traduction sur ce blog.

Quelques mots sur l’intrigue pour commencer. La série raconte l’histoire d’une guerre aux motifs obscurs qui oppose un peuple humain, les Aléthis, à une espèce humanoïde récemment découverte, les Parshendis ; ces derniers ont revendiqué l’assassinat du roi aléthi Gavilar Kholin le soir même où il signait un traité avec eux. Les principaux fils d’intrigue s’intéressent à trois personnages : Kaladin, un esclave envoyé au casse-pipe lors de cette guerre et qui survivra en se découvrant d’étranges pouvoirs ; Shallan Davar, une jeune voleuse qui devient l’élève de l’érudite Jasnah Kholin, la fille du roi, laquelle enquête sur la réalité historique d’événements mythologiques ; et Dalinar Kholin, le frère de Gavilar, ancien guerrier devenu pacifiste et que certains croient fou car il est hanté par des visions du passé. Toutes ces intrigues (ainsi qu’un certain nombre d’histoires secondaires consacrées à d’autres personnages) finissent par se rejoindre, dressant un tableau général des événements tout en confrontant différents points de vue.

Words of radiance

Traduire un livre de cette taille, ce n’est pas l’épreuve inhumaine qu’on attendrait, simplement un autre type de voyage. C’est le volume de travail de trois livres de taille moyenne, mais étalé sur un délai trois fois plus long. Quelque part au cours du processus, le temps se dilate, particulièrement pendant les relectures, la phase qui m’occupe à présent. Arrivé au bout de 300 pages, on songe que l’histoire est encore en train de s’installer là où beaucoup d’autres toucheraient déjà à leur fin. On s’en étonne, mais la tâche ne paraît pas écrasante pour autant, simplement plus lente. Dans le cas présent, j’ai l’avantage d’avoir déjà survécu à La Voie des rois, au prix de pas mal de sueurs froides et d’arrachages de cheveux ; je sais que je peux recommencer.

La difficulté de traduire la série des Archives de Roshar tient à un double facteur : le volume des livres associé au nombre de termes à inventer. Je crois avoir connu l’une des plus grosses trouilles de ma carrière face au lexique de La Voie des rois : une liste de quelques centaines de néologismes, entre les noms de lieux, de plantes ou d’animaux, les termes historiques, mythologiques ou religieux propres à l’univers développé, les systèmes de magie, surnoms des personnages, noms de leurs chevaux ou de leurs épées, et j’en passe. Le tout (et c’est là que l’expérience se corse) sans connaître en détail les tenants et aboutissants de l’intrigue, puisque la série est encore en cours d’écriture. J’ai la chance d’être en contact avec l’assistant de l’auteur, toujours très réactif et parfaitement au fait des moindres détails ; simplement, si je m’interroge sur 500 termes (j’exagère à peine), je ne peux pas le questionner sur tous et il faut me limiter aux plus problématiques.

Roshar-Iri

L’une des particularités de La Voie des rois (nettement moindre sur Words of Radiance où l’intrigue s’est beaucoup précisée), c’est celle de l’entrée dans un univers où toutes les clés ne nous sont pas données d’emblée, à l’image d’un prologue énigmatique qui voit dialoguer des figures mythiques encore inconnues du lecteur. Les fils d’intrigue sont nombreux et mettent parfois en scène des personnages dont le lien avec les autres paraît plus que ténu. Surtout, on est catapulté dans un univers où les éléments culturels, historiques, mythologiques nous sont distillés au compte-goutte, le plus souvent en arrière-plan, sans beaucoup d’explications. Un dialogue peut faire référence à une coutume ou à un événement passé qui nous sera expliqué 800 pages plus tard.

Le problème, en tant que traductrice, est surtout de devoir avancer à l’aveuglette. Je commence à connaître assez les univers de Brandon Sanderson pour savoir qu’il n’est pas avare en rebondissements et révélations difficiles à anticiper. Il me rappelle par moments la capacité qu’avait J.K. Rowling, dans les Harry Potter, à déguiser des éléments d’intrigue essentiels au milieu de digressions amusantes (rappelez-vous le sablier permettant à Hermione de dédoubler ses heures de cours dans Le Prisonnier d’Azkaban). Ici, le moindre détail peut devenir capital ; le problème est que je n’en sais encore rien à ce stade. Il faut constamment questionner, anticiper, chercher les pièges, par exemple quand les chapitres s’ouvrent sur des extraits de lettres dont on ne sait si elles sont écrites par un homme ou une femme, ni si cette personne s’adresse à un proche qu’elle tutoie ou à une personne moins familière qu’elle vouvoie. Le choix des termes, de ce point de vue, est délicat : il faut fixer des néologismes en espérant que les développements futurs de l’intrigue ne viendront pas contredire mes décisions.

Shallan par Michael Whelan

Shallan par Michael Whelan

J’ai connu par exemple une petite frayeur devant un paragraphe de Words of Radiance qui mettait en parallèle deux catégories de personnages aux noms très semblables en anglais : les « Voidbringers » (terrifiantes créatures mythiques que j’ai appelées « Néantifères ») et un groupe baptisé « Dustbringers » dont on ne sait pas encore grand-chose à ce stade et que j’ai nommés « Désagrégateurs ». Les deux termes choisis en français ayant des structures différentes, il a fallu quelques contorsions pour que la phrase qui les compare conserve un sens – mais ça aurait pu être bien pire. Puisque le français ne possède pas la même souplesse que l’anglais, qui peut se permettre d’accoler deux mots pour en créer un troisième, il faut régulièrement s’éloigner de la lettre pour trouver un terme qui sonne juste sans trahir le sens (cas de figure bien connu des traducteurs de SF et de fantasy).

Ainsi, un même mot peut être traduit différemment selon les occurrences. Le plus flagrant est ici « storm », omniprésent dans le récit car le monde de Roshar est balayé par des tempêtes d’une violence effroyable qui influencent aussi bien le mode de vie des personnages que leur langage. « Highstorm » devient ainsi « tempête majeure », les « stormwardens » qui prédisent leur arrivée deviennent des « fulgiciens », et Kaladin, qui gagne le surnom de « Stormblessed » pour avoir miraculeusement survécu à l’une de ces tempêtes, devient « Béni-des-foudres ». Quant à l’interjection « storms! », qui connaît plusieurs variantes, elle est notamment rendue par « bourrasques ! ». Je ne peux qu’espérer que ces multiples variations, souvent nécessaires dans le cours du récit, n’en viennent pas à se contredire lors de développements futurs.

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Illustration intérieure : page du carnet de Shallan

Et puis il y a d’autres choix, des choix constants – quelques centaines de termes, dont une majorité heureusement déjà fixée pendant la traduction de La Voie des rois. Des noms de plantes ou d’animaux sont cités sans plus d’explications, parfois transparents et parfois totalement obscurs (d’autant que, dans l’univers de Roshar, l’organique, le végétal et le minéral se confondent parfois ; on croise ainsi des arbres dont l’écorce évoque la pierre). D’autres choix sont plus discrets : fallait-il traduire ou laisser tels quels les « spren », ces esprits qui incarnent des émotions, des forces de la nature ou des abstractions ? J’ai choisi d’en faire des « sprènes », tout comme j’ai décidé d’accorder et de franciser « aléthi(e)(s) » ou « thaylène(s) » alors que « Alethi » et « Thaylen » (qui désignent à la fois deux peuples et leurs langues respectives) étaient invariables en anglais.

D’autres difficultés, encore, sont invisibles ; je bénis les passionnés qui ont créé le wiki Coppermind qui m’a beaucoup aidée lorsque, m’étonnant de ne pas retrouver dans La Voie des rois un terme que j’étais persuadée d’avoir déjà traduit, j’ai compris grâce à ce site qu’il fallait plutôt le chercher dans Warbreaker. D’où l’intérêt de faire traduire les différentes séries d’un auteur par la même personne, à plus forte raison lorsqu’il commence à les relier entre elles, de manière de moins en moins subliminale (son « Cosmère » est mon cauchemar, mais un cauchemar fascinant à explorer).

S’il y a une leçon qu’il faut apprendre pour devenir traducteur, c’est qu’il y aura toujours des erreurs. La traduction parfaite n’existe pas, on ne peut que faire de son mieux en espérant s’être posé les bonnes questions, avoir pris les bonnes décisions. Traduire la série de Roshar m’oblige à un degré supplémentaire dans le lâcher-prise. Il y a aura cinq livres, tous aussi volumineux, et j’avance à l’aveuglette ; les erreurs sont statistiquement inévitables. Je ne peux qu’espérer qu’elles seront invisibles et faciles à rattraper en tricotant quelques bouts de phrases. Arriver au terme du deuxième livre sans catastrophe majeure au niveau des néologismes m’emplit déjà d’une grande joie et d’un grand soulagement. Le voyage n’est pas toujours simple, mais c’est une aventure passionnante.

 

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“Mascarade” (Florence Magnin)

Mascarade

Pour beaucoup de gens de ma génération, rôlistes ou lecteurs de fantasy, le nom de Florence Magnin est surtout associé à son travail magnifique sur la série des Princes d’Ambre de Roger Zelazny : les couvertures des romans parus à l’époque chez Denoël, le jeu de rôles dérivé, le sublime Tarot d’Ambre que conservent précieusement ceux d’entre nous qui ont la chance de l’avoir acheté à l’époque. En la croisant hier lors des Futuriales d’Aulnay-sous-Bois, c’est tout un pan de la fin de mon adolescence qui m’est revenu : la lecture du Cycle des Princes d’Ambre, bien sûr, les heures passées à rêvasser devant les cartes du Tarot en écoutant mes albums préférés, ma toute première dédicace d’une BD (peut-être ma première dédicace tout court) dans un petit salon de la région dunkerquoise où je m’étais fait dessiner Corwin d’Ambre sur le premier tome de Mary la Noire. Je l’ai toujours, bien entendu, comme les autres dédicaces qui ont suivi.

Pour n’avoir pas suivi son actualité récente, j’ignorais jusqu’à tout récemment l’existence de Mascarade paru fin 2014. Une copieuse BD présentée comme un projet très personnel et qui, dès qu’on la feuillette, semble trancher avec les précédentes, celles que je connais en tout cas. J’ai souvent lu ici ou là que le style délicat et minutieux de Florence Magnin, parfois comparé à celui des miniaturistes, correspondait mieux à l’illustration qu’à la bande dessinée. De fait, les images, pour somptueuses qu’elle soient (et j’ai passé des heures à rêvasser devant certaines planches de L’Autre monde ou de Mary la Noire), étaient parfois un peu figées, un peu statiques. Mascarade possède un souffle, un dynamisme, qui leur faisait souvent défaut. Dès qu’on parcourt quelques pages, on est également frappé par le contraste entre les différents styles graphiques abordés : gravures pleines pages en noir et blanc, scènes du quotidien plus classiques en apparence, passages oniriques dessinés sur du papier coloré et qu’on jurerait tracés au crayon de couleur à même la page qu’on tient entre les mains. Un jeu sur les textures et les reliefs qui rend à la perfection le va-et-vient entre imaginaire et réel qui forme la matière de l’histoire.

Mascarade 2

L’histoire, justement, c’est peut-être ce qui m’a le plus surprise. Si L’Autre monde, scénarisé par Rodolphe, était un conte charmant à la naïveté assumée, Mary la Noire m’avait laissée sur ma faim : grand plaisir pour les yeux mais histoire un peu brouillonne et psychologie sommaire des personnages. Mascarade, au contraire, prend son temps poser son sujet, développer ses protagonistes et entremêler peu à peu les différents thèmes. C’est d’une certaine fin de l’enfance et de l’insouciance qu’il est question ici ; celles de Gaëlle qui passe un été à la campagne avec sa mère qui n’ose pas lui annoncer que son père est parti. Gaëlle qui se lie d’amitié avec un garçon solitaire de son âge dont la grand-mère parle de légendes anciennes liées à des masques qui serviraient de lien entre le réel et le monde du rêve. Voilà Gaëlle et son ami Titou qui se perdent dans leurs jeux alors que le quotidien s’assombrit, alors que le monde des adultes n’offre plus un refuge aussi sûr qu’auparavant. Les incursions dans l’autre monde sont autant de références à des contes connus, de Pinocchio à Baba Yaga, au point qu’on ne sait jamais très bien où s’arrête l’imaginaire enfantin et où commence le fantastique proprement dit. Sur ce point, Mascarade m’a rappelé Le Labyrinthe de Pan, par la façon dont les contes y traduisent la noirceur d’un réel trop difficile à appréhender par des enfants ; mais le jeu sur l’ambiguïté, qui m’avait semblé un peu raté dans le film de Guillermo del Toro, est ici beaucoup plus riche et convaincant. La symbolique développée dans les rêves de Gaëlle est assez fine pour nous laisser parfois entrevoir certains thèmes avant qu’ils ne soient réellement développés.

Voilà une BD que j’aurais pu lire par simple nostalgie, pour le plaisir de retrouver une patte familière qui me renvoie à tant de souvenirs ; au lieu de quoi j’ai été soufflée. L’évolution entre les premières BD de Florence Magnin et celle-ci est saisissante. J’en ai commencé la lecture par petits bouts lors des Futuriales, entre deux dédicaces ; quand le salon a fermé ses portes, j’en avais dévoré cent pages, pour le finir ensuite dans la soirée. Voilà un album qui enchante, qui résonne, et dans lequel on s’attarde une fois la dernière page tournée en se promettant de le garder à portée de main pour revenir admirer cette planche-là… et puis cette gravure-là… Il semblerait malheureusement que Mascarade soit passé plutôt inaperçu à sa sortie et n’ait pas remporté le succès qu’il mériterait, ce qui est une double raison pour vous en parler ici. Non pas par nostalgie, encore une fois, mais par sincère admiration.

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Quatre jours à Yverdon

Quinze ans que j’entendais parler d’Yverdon et de sa fameuse Maison d’Ailleurs sans y avoir jamais mis les pieds. Jusqu’à ce qu’on me propose, dans le cadre du programme « Un livre, un auteur », de venir y rencontrer des classes. Petit détail : douze classes en tout. En quatre jours. Le chiffre donne un peu le vertige sur le papier. Dans la réalité, beaucoup moins : tout s’enchaîne très vite et les quatre jours passent en un clin d’œil. Ma seule (petite) inquiétude, avant mon arrivée, était que les rencontres se ressemblent beaucoup entre elles et que je me retrouve à répéter mécaniquement les mêmes choses. En réalité, l’expérience m’a surprise au-delà de ce que j’attendais.

Dès le premier jour, un étonnement : quatre classes à la suite, et pas deux fois la même rencontre. Impression confirmée les jours suivants. Avec chaque groupe, quelque chose d’unique se noue : un thème, un type d’interaction émerge, qui ne sont pas les mêmes que pour les précédents. Avec tel groupe, on poussera loin la discussion sur la psychologie des personnages ; avec tel autre, on bifurquera sur le cinéma et les jeux vidéo, en lien avec les thématiques de l’écriture ; avec un autre encore, on évoquera l’ambiguïté propre à certains récits fantastiques et la frustration qu’ils peuvent faire naître chez le lecteur. On parle de Harry Potter, de tatouage, de La Nouvelle-Orléans après Katrina, de mythes grecs, de vaudou, des Autres d’Amenabar, des attentats de novembre dernier, du processus de traduction, de la difficulté de se mettre dans la peau d’un personnage du sexe opposé. La proximité des rencontres et leur nombre transforme l’expérience en une sorte de laboratoire où mon rapport aux thèmes évoqués se modifie progressivement : une réflexion apparue tel jour suite à une question nourrit le lendemain la réponse à une autre. Et peut-être plus surprenant encore, je m’aperçois que mes propres réactions se modifient en fonction du groupe avec lequel j’interagis. Avec l’un, je recours spontanément à l’autodérision, presque sans m’en rendre compte ; avec tel autre, je m’entends donner des éléments de réponse très personnels quant au vécu qui a nourri les textes. Comme souvent, je m’étonne de la variété, de la précision ou de l’originalité des questions, et aussi de leur franchise – jusque dans la façon dont les élèves n’hésitent pas à me dire clairement ce qu’ils n’ont pas compris dans certains textes.

Et pour la première fois, malgré toutes les rencontres précédentes avec des classes ayant lu Serpentine, l’un des échanges me fait prendre conscience de l’étrangeté de la situation : le fait qu’un texte comme « Rêves de cendre », écrit il y a quinze ans dans un moment de déprime pour exorciser des idées noires un peu violentes, soit aujourd’hui étudié en classe par des élèves qui ont l’âge du personnage. Au cours de la semaine, je me suis posé plusieurs fois cette question, d’ailleurs formulée devant l’une des classes : si je l’avais su à l’époque, est-ce que j’aurais osé écrire un texte aussi noir sans m’interroger sur l’écho qu’il peut rencontrer chez les lecteurs – non seulement le malaise que peut susciter un texte sur la folie et l’autodestruction, mais aussi la possibilité qu’il soit lu par des adolescents en proie à un mal-être similaire ? Peut-être pas. C’est une bonne chose que je n’aie pas eu ce genre de questionnements à l’époque. Je n’en serais plus capable aujourd’hui.

Et puis, entre les rencontres, d’autres beaux moments. Une tempête de neige aussi spectaculaire qu’éphémère pour m’accueillir à la descente du train. Une visite guidée de la Maison d’Ailleurs en compagnie de l’une des classes, où la partie consacrée aux liens entre la science-fiction et les arts m’a captivée (et une toute première expérience avec l’Oculus Rift en prime). Des repas souvent italiens (le Café du Château à deux pas de la Maison d’Ailleurs propose des recettes de pâtes aussi délicieuses qu’originales). Des discussions et des fous rires avec l’équipe organisatrice, notamment Véronique de la librairie Payot et Sara et Gabriel, eux-mêmes enseignants au CPNV. J’apprends que, parmi les collègues invités les années précédentes, Pierre Bordage est le recordman des interventions scolaires à Yverdon ; je ne m’en étonne pas vraiment.

Ces rencontres avec des classes sont toujours intenses, toujours émouvantes et passionnantes. Cette semaine particulière le fut peut-être encore plus. Dans un édito récent au sujet des interviews, j’écrivais que les élèves posent régulièrement des questions plus fines et plus pointues que beaucoup de professionnels ; je viens encore d’en avoir la preuve. Je regrette, avec le temps, de ne pas pouvoir mémoriser tous les visages, tous les noms, toutes les questions, mais je garde toujours des souvenirs très forts de ces rencontres. Elles font partie, sans doute, des plus belles choses que l’expérience de l’écriture et de la publication m’aient apportées.

Un grand merci à tous : à Véronique, Gabriel et Sara, à l’équipe de la Maison d’Ailleurs, à tous les enseignants, à chacun des élèves. Merci infiniment.

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“J’ai appris à ne pas rire du démon” (Arno Bertina)

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Profitant d’un regain d’intérêt pour la lecture que j’avais sérieusement délaissée ces derniers temps, j’exhume de l’étagère où il prenait la poussière ce roman d’une appréciable brièveté (150 pages) acheté sur les conseils de l’excellente librairie Charybde dont l’un des piliers (il se reconnaîtra) partage mon goût pour la musique, l’histoire du rock et ses figures légendaires. Ici, rien moins que Johnny Cash, saisi à trois périodes de sa vie et de sa carrière, à travers le regard de trois personnages différents.

De la première partie, racontée par un vendeur de Bibles croisant un « John R. Cash » encore inconnu, je ne pourrai pas dire grand-chose car elle m’a semblé si anecdotique que je n’en ai quasiment rien retenu. La deuxième m’est apparue comme beaucoup plus touchante. Le narrateur est ici un policier, grand fan de Johnny Cash, qui se retrouve une nuit chargé de le surveiller à son arrivée en prison. Mais c’est un homme en triste état qu’il découvre face à lui, un camé visiblement en manque chez qui il reconnaît à peine son idole. « Aux États-Unis, » ironise ce dernier sans se rendre compte qu’il radote, « plus de docteurs ont entendu, en décrochant leur téléphone, « Hello I’m Johnny Cash », que de fans lors des concerts. »

La troisième et dernière partie est celle qui donne tout son sel au roman – en tout cas pour ceux qui, comme moi, s’intéressent finalement plus à la musique elle-même. Il s’agit d’un monologue du producteur Rick Rubin, au moment où il s’apprête à travailler avec Johnny Cash sur une série d’albums dont ils savent tous deux que ce seront les derniers, car la mort approche. Exaspéré par ce qu’est devenu le personnage, englué dans les faux-semblants et les bondieuseries, il cherche à réveiller chez lui une forme de violence et d’âpreté perdues avec le temps, le confronte à d’autres figures célèbres que Cash ne connaît pas (Nick Cave, Joe Strummer) et lui promet que ses plus beaux albums sont encore à venir.

Cette partie-là, contrairement aux autres, égrène les références et les citations, de Bob Dylan à Will Oldham – dont Johnny Cash enregistra une reprise, « I See a Darkness », que j’avoue trouver infiniment plus bouleversante que l’original, peut-être par ce que la voix crépusculaire d’un homme au bord de la tombe lui insuffle de profondeur et d’émotion. C’est cette facette de Johnny Cash que la troisième partie donne à voir, et des souvenirs ou impressions d’écoute se superposent forcément à la lecture. Le monologue est nerveux, habité, porté par l’urgence de la situation, et l’on s’interroge constamment sur la part de réel et de fiction, sur cette voix dont on ne sait plus très bien si elle est celle de Rick Rubin ou d’Arno Bertina. Le texte n’est pas exempt de tics d’écriture (ces bouts de phrase en anglais qui sonnent parfois un peu faux), ni d’une certaine vision du rock qui frôle parfois le cliché (cette volonté de réveiller les démons, de refuser de croire à la rédemption perçue comme bondieusarde). Et si le roman m’a semblé déséquilibré dans ses trois parties, cette troisième et dernière se révèle un superbe hommage : à la musique, à un homme légendaire et un peu grotesque à la fois, comme tout un chacun, à l’acte de création lui-même. Un hommage qui donne une furieuse envie de se plonger ou replonger dans ces derniers albums. Car ce que décrit Arno Bertina, ce que Rick Rubin cherche à réveiller une dernière fois, c’est bel et bien le fantôme qu’on y entend.

Bonus track : note de lecture sur le blog de Charybde 27.

 

 

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Au cœur du tourbillon

L'art de la nouvelle

(c) Sonia Geraci/ActuSF

Un tourbillon de quatre jours, tout va trop vite, trop de visages, trop peu de temps à consacrer à chacun, mais le propre de ce tourbillon-là, c’est de vous faire vous sentir plus vivant que jamais. Des Imaginales intenses, comme souvent, peut-être encore plus. Une somme de petits moments, de fous rires, de retrouvailles et de rencontres, qui vous laisse après coup tout un patchwork d’images et d’émotions. On discute autour des tables, autour d’un livre, autour d’un verre, on pense forcément aux absents (les noms de Graham Joyce et de Gudule furent souvent prononcés), on apprécie d’autant plus intensément la présence des copains qui sont bien là, de ceux qu’on connaît depuis quinze ans aux petits nouveaux qui font déjà partie de la famille.

Souvenirs en vrac de ces Imaginales : un ping-pong verbal en table ronde avec Sylvie Lainé sur le thème de la nouvelle, où l’on multiple les métaphores à base de Tardis, de Tetris et de bains de mer. Une échange passionnant et chaleureux autour des questions de genre et d’identité sexuelle avec Estelle Faye, Carina Rozenfeld et Samantha Bailly, que j’apprécie beaucoup toutes les trois mais avec qui je n’avais jamais partagé de tables rondes. Un petit déjeuner avec Francis Berthelot, des retrouvailles chaleureuses avec Christopher Priest, des discussions avec des lecteurs croisés sur le Net et dont je découvre enfin le visage. Des rencontres intenses avec trois groupes de collégiens qui me remettent leurs dessins, surprenants et émouvants, inspirés par mes nouvelles. Des échanges sur le thème « Lionel, ce héros » avec des collègues tout aussi bluffés que moi par l’aisance de Lionel Davoust lorsqu’il joue les interprètes. Une approche timide de l’adorable Kim Newman, dont j’avais traduit la novella « Andy Warhol’s Dracula » à mes débuts, pour découvrir à ma grande surprise qu’il me situe très bien.

Magic Mirror

(c) Sonia Geraci/ActuSF

Et puis les mots touchants des lecteurs, qui passent parfois simplement donner leur avis sur une table ronde ou sur un livre acheté l’année précédente. Des dédicaces demandées à mon tour : à Sylvie Lainé, Estelle Faye, Kim Newman et puis à Karine Gobled sur son Guide de l’uchronie, lectrice de longue date devenue depuis une amie. Une remise des prix où l’on se réjouit pour les copains qui montent sur scène, où l’on verse une larme lorsque Stéphane Marsan rend un bel hommage à Graham Joyce disparu l’an dernier. Une découverte lorsque je feuillette par curiosité L’étrange cabaret de ma voisine de dédicace Hélène Larbaigt et me retrouve soufflée par son style graphique original. Et la fatigue qui s’accumule, et le pincement au cœur à l’heure de quitter les lieux et les gens, et le trajet en train qui prend toujours des allures de retour de colo.

On rentre des Imaginales avec l’impression d’aimer la terre entière, l’envie de faire des déclarations dégoulinantes de petits cœurs. Ces quatre jours m’auront rappelé pourquoi j’ai souvent eu l’impression, dans le milieu de l’édition de l’imaginaire, d’être non seulement en famille, mais d’avoir enfin trouvé ma place dans le monde.

On prolonge la fête le lendemain dans les locaux de Bragelonne pour une dédicace en plus petit comité où je retrouve avec plaisir Kim Newman, Brent Weeks, Manon Fargetton et Alice Scarling autour d’une assiette de petits fours. Alice et Manon jouent à celle qui aura le plus joli coffret de matériel à dédicaces (stickers et tampons encreurs), Kim dessine des smileys vampires absolument trognons, Brent prend des poses effrayantes avec le canard-vampire du forum AB F&A, et j’apprends à dessiner des petits squelettes en bas des pages. Une journée ordinaire chez Bragelonne.

Il y aurait tant d’autres noms et tant d’autres moments à citer. Un immense merci à tous : les amis, collègues, lecteurs, blogueurs, collégiens et enseignants, l’équipe des Imaginales pour son accueil et son travail acharné, depuis les organisateurs jusqu’aux libraires et bénévoles aux petits soins, et puis l’équipe Bragelonne qui s’occupe toujours si bien de ses auteurs (mention spéciale à Fanny Caignec et à l’irremplaçable Leslie Palant). Les métiers de l’édition ne sont pas les plus faciles et les plus reposants qui soient, mais ces moments-là sont de ceux qui nous rappellent pourquoi tout ça en vaut la peine.

After chez Bragelonne

(c) Valérie Revelut/Onirik

Merci à Sonia Geraci d’ActuSF pour les photos des Imaginales et à Valérie Revelut d’Onirik pour celle de la dédicace chez Bragelonne. ActuSF a commencé la mise en ligne des tables rondes des Imaginales, parmi lesquelles “L’art de la nouvelle”, “Le fantastique français” et “Corps mutant, genre fluctuant” auxquelles je participais.

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