Blog : tag silent hill

Ici les rues sont vides

Ici les rues sont vides
Et la brume les noie,
Le silence est fétide
Et le jour aux abois,
La nuit se fait livide
Et propice à l’effroi,
Les heures mêmes sont perfides
Qui glissent entre vos doigts.

Parfois le long des murs
J’entends se faufiler
D’informes créatures
Aux sanglots de damnés,
Leur chair contre nature
Atrocement marquée
Par de sombres tortures
Et d’infâmes secrets.

Tous ici nous fuyons,
Tous ici nous sommes seuls.
La ville se fait prison,
La ville se fait linceul
Pour qui a ses démons.

Dans les couloirs déserts,
L’homme au couteau tranchant
Et au casque de fer
Me suit d’un pas traînant.
Sa lame justicière
Ne désire que mon sang.
Ô bourreau des enfers,
Jugez-moi innocent !

Ici, les gens m’accusent
Et ma mémoire vacille.
Car la ville a ses ruses :
Le déni se fendille
Et les hurlements fusent
Quand la radio grésille
Dans les maisons recluses,
Et l’esprit part en vrille.

Tous ici nous crions,
Tous ici nous sommes seuls.
La ville perd la raison,
La ville se fait linceul
Pour qui fuit ses démons.

C’est pour mieux me mentir
Qu’ici j’ai pourchassé
L’écho des souvenirs
De mon amour brisé.
Mais l’oubli se déchire,
Il me faut l’affronter :
Oui, j’ai commis le pire.
Je suis son meurtrier.

 

C’est en écoutant « Fantaisie héroïque », la géniale chanson de Juliette sur les jeux vidéo, que m’est venue l’idée d’essayer de rendre hommage à un jeu qui m’a beaucoup marquée. Il fallait forcément que ce soit Silent Hill 2, que je considère (pour ceux qui ne m’ont pas encore entendue radoter sur le sujet) comme un authentique chef-d’œuvre du genre fantastique et une expérience vidéoludique vraiment unique.

Post navigation


“Layers of Fear” ou la maison devenue folle

layers-of-fear-3

Dans ma quête du jeu vidéo fantastique parfait, ma grande joie et ma grande frustration aura été de croiser sur mon chemin la série des Silent Hill il y a cinq ans. Série qui touche pour moi à une telle forme de perfection (dans ses trois premiers épisodes en tout cas) qu’elle allait devenir une sorte d’obsession, ainsi que l’œuvre à l’aune de laquelle je devais juger tous les autres jeux – ce qui, très souvent, revient à regarder une honnête série B en espérant vainement y retrouver des échos d’un chef-d’œuvre incontesté. Ce que j’ai trouvé d’indicible et de fascinant dans les rues embrumées et les couloirs torturés de Silent Hill, je croyais ne plus jamais le rencontrer dans un jeu.

Jusqu’à ce qu’on me conseille Layers of Fear.

Pour évacuer le sujet d’emblée, la principale réserve que j’émettrai à l’encontre de ce jeu est qu’il arpente un territoire que Silent Hill a déjà défriché ; la plupart des effets, pris séparément, y ont déjà été explorés. Le jeu m’a semblé beaucoup s’inspirer de la série, et notamment de la terrifiante démo jouable de l’épisode abandonné qui aurait dû être réalisé par Guillermo Del Toro et Hideo Kojima, démo où le joueur tournait en boucle dans un appartement qui se métamorphosait peu à peu. Le gameplay de Layers of Fear en est assez proche : caméra subjective, décor unique dont on guette les transformations successives et où l’on cherche les objets, gestes et autres déclencheurs qui font avancer le jeu en dévoilant l’histoire. Le décor est ici la maison d’un peintre où il semble que quelque chose se soit produit – quelque chose de dramatique et de terrifiant comme il se doit. Les murs sont chargés de tableaux, des objets oubliés ici et là suggèrent un contexte qui se précise peu à peu : alcoolisme, blocage créatif, problèmes conjugaux et le spectre omniprésent de la folie.

Au terme d’une première exploration de la maison, le joueur, placé face au tableau que le peintre a laissé inachevé dans son atelier, bascule soudain dans un cauchemar éveillé. Le voilà qui erre dans une enfilade de pièces qui se succèdent dans un ordre aléatoire ; on peut quitter une pièce, franchir la porte en sens inverse et se retrouver face à un nouveau décor. Les phénomènes surnaturels s’y multiplient : chutes d’objets, métamorphoses du décor autour de nous, aberrations architecturales, cris, sanglots et bruits divers qui sont autant d’échos d’un passé traumatique. Tout est fait pour déstabiliser le joueur, qui sait constamment que les choses vont déraper sans jamais savoir par où la hantise va surgir.

Plus on progresse dans le jeu, plus la folie du peintre contamine le décor, devenu un miroir de sa psyché torturée. Motif propre à Silent Hill, là encore, mais que j’avais rarement vu exploré aussi efficacement ailleurs, jusque dans la bande-son qui suggère un hors-champ terrifiant. Le malaise que suscite le jeu m’a rappelé, par moments, celui que m’inspirent les tableaux de Jérôme Bosch (l’un des rares peintres dont je sois incapable de regarder les œuvres). Peu à peu, l’architecture elle-même devient folle : meubles collés au plafond, pièce qui s’ouvrent sur de nouvelles dimensions lorsqu’on lève les yeux, passages cachés dans des recoins improbables (comme dans ce bureau décoré d’un portrait dérangeant, où la sonnerie lancinante d’un téléphone s’échappe d’un passage secret qu’il faut localiser).

layers-of-fear-4

L’un des reproches formulés par certains joueurs est le manque de défi proposé, les actions se bornant souvent à ouvrir des tiroirs et explorer les pièces pour trouver des objets qui nous révèleront de nouveaux fragments de l’histoire. Un aspect que, pour ma part, je n’ai pas trouvé dérangeant, car le challenge dans un jeu vidéo m’intéresse beaucoup moins que la découverte de l’intrigue et le fait de vivre l’expérience du jeu jusqu’à son terme. Dans un jeu aussi oppressant et angoissant, qu’on s’efforce de finir le plus vite possible pour s’échapper de ce cauchemar, une relative facilité me semble même plutôt bienvenue. Le jeu lui-même est bref mais très dense, notamment par la variété des effets ; il se répète extrêmement peu. Partant de là, on sait que tout devient possible : illusions d’Escher, visions infernales, dessins d’enfant qui envahissent les murs, fantômes, poupées et tableaux dans tous les recoins, décors qui se modifient derrière votre dos, murs qui fondent ou se désagrègent, disques joués à l’envers pour mieux vous hérisser, et j’en passe.

Le résultat est un jeu qui vous maintient dans un état d’anxiété constante et vous offre des moments de trouille authentique comme je n’en avais jusque-là connu que dans Silent Hill. Pas celle qui repose sur les effets de surprise (quoique les jump scares soient ici assez malins) mais celle qui vous prend aux tripes, née de l’impression de profonde anomalie qui suinte des murs et vous donne l’impression de toucher la folie du doigt, d’explorer les méandres d’un cerveau dérangé. Si l’histoire et son dénouement restent relativement classiques, le travail sur la peur et l’étrangeté est d’une finesse que j’ai rarement vue ailleurs. Il manque sans doute un petit quelque chose qui en ferait un chef-d’œuvre mais l’ambiance, la mise en scène et le sens du détail font de Layers of Fear un voyage intense et dérangeant, à déconseiller absolument aux âmes sensibles.

layers-of-fear-5

Post navigation


Les eaux de Silent Hill

 

Avant toute chose, pour ceux qui prendraient la saga en cours de route, j’ai déjà détaillé ici en quatre parties distinctes ma rencontre/coup de foudre pour la série des jeux Silent Hill qui sont, tout simplement, l’une des œuvres fantastiques les plus riches et les plus impressionnantes que j’ai découvertes ces dernières années. Pour ceux qui le souhaiteraient, se reporter donc aux billets consacrés à Silent Hill, Silent Hill 2 (attention chef-d’œuvre), Silent Hill 3 et Silent Hill : The Room.

Pour avoir souvent entendu dire que le dernier bon jeu de la série était The Room et que les trois suivants tombaient de plus en plus bas, j’attendais ce Downpour, huitième jeu de la série, avec une appréhension mêlée d’un soupçon d’espoir. D’autant que les premiers comptes-rendus étaient plutôt élogieux. À ma grande surprise, j’ai presque retrouvé le même plaisir de jeu qu’avec les trois premiers. Nettement plus en tout cas qu’avec The Room qui était certes plus original, mais plombé par des longueurs pénibles et un gameplay assez peu pratique.

http://i48.tinypic.com/335fjev.jpg

On incarne cette fois Murphy Pendleton, repris de justice qui réchappe d’un accident de car lors d’un transfert vers une nouvelle prison. Il se retrouve aux abords d’une ville déserte, noyée dans la brume et peuplée de monstres qui se déchaînent lorsque l’orage éclate – vous aurez bien entendu reconnu la riante bourgade de Silent Hill. Laquelle incarne, une fois de plus, une sorte de purgatoire où échouent des âmes perdues qui en ont lourd sur la conscience et refusent de regarder leur passé en face. Murphy, d’emblée, nous est plutôt présenté comme un brave type. Or, la première scène du jeu le montre en train de tuer un autre détenu à coups de couteau dans les douches de la prison avec la complicité d’un surveillant. On devine très tôt qu’il s’agit d’un personnage que des circonstances dramatiques et complexes auront poussé sur la voie du crime, et il faudra tout le déroulement du jeu pour découvrir de quelle manière. En ce sens, le scénario de Downpour rappelle beaucoup celui de Silent Hill 2 : les deux jeux sont des variations sur le remords, la culpabilité et un passé lourd à assumer, même si la faute de Murphy est très différente de celle de James Sunderland.

En cherchant vraiment la petite bête, on pourrait reprocher à Downpour de lorgner un peu trop vers ses glorieux aînés. Notamment, donc, au niveau du scénario. Mais de mon point de vue, c’est justement une grande partie du plaisir, d’autant qu’on a beaucoup reproché aux jeux précédents d’avoir trahi l’esprit initial de la série. Dans Downpour, l’esprit est là, sans doute possible. On retrouve cette ambiance lourde et moite, ces personnages torturés, cette attention aux moindres détails, cette symbolique fantastique dont la richesse impressionne et dont l’esthétique prend aux tripes. La ville, comme toujours, est le reflet de l’espace mental d’un personnage. Ici, elle développe d’innombrables variations autour du thème de l’eau, dont on devine très vite qu’elle représente pour Murphy l’écho d’un drame passé. Ce qui donne lieu à un certain nombre de scènes qui sont autant de fulgurances poétiques (pour peu qu’on accepte de trouver une certaine poésie dans une esthétique horrifique à la Clive Barker). Voir ces scènes magnifiques de la dernière partie du jeu où Murphy se déplace dans des pièces inondées où les reflets ont leur propre logique, et qu’il peut retourner dans un sens ou dans l’autre en actionnant des vannes.

http://i50.tinypic.com/2e1x5s8.jpg

De manière générale, un soin particulier a été apporté à l’esthétique de « l’autre monde », cette version parallèle et infernale de Silent Hill dans laquelle basculent régulièrement les personnages des jeux, et qui possède dans chacun une esthétique différente. Dans le premier jeu, des surfaces métalliques rouillées. Dans le troisième, des murs animés de palpitations quasi organiques. Ici, l’autre monde est un amalgame d’influences allant de Bosch aux illusions d’Escher et qui provoque un authentique malaise, une impression de profonde anomalie. On passe assez peu de temps dans cet autre monde (à peine une heure et demie pour moi sur treize heures de jeu) mais ce sont des séquences impressionnantes. Parfois un peu trop orientées action à mon goût : on s’y fait pourchasser par une lumière rouge dans d’interminables couloirs qui se transforment sous nos yeux. Mais il faut reconnaître que ces séquences sont mémorables par leur ambiance, et réellement déconcertantes lorsqu’on les découvre au début du jeu. À l’instar de cet escalier infini où j’ai couru un bon quart d’heure avant de comprendre qu’il suffisait de rebrousser chemin et de rouvrir la porte qu’on venait de franchir pour découvrir un nouveau décor.

Pour le reste, l’exploration de la ville elle-même est plus classique au premier abord. Un peu longuette dans sa première heure, mais c’est le cas de tous les jeux de la série. Une nouveauté propre à Downpour consiste à permettre une exploration plus libre de la ville, là où les premiers jeux étaient très dirigistes. Ce qui me semble une bonne idée dans l’absolu, moins dans la pratique : on se perd si facilement dans les rues brumeuses de Silent Hill, et on stresse tellement les trois quarts du temps, que j’ai tendance à foncer le plus vite possible là où me mène le scénario. Cela dit, il y a de fort belles choses dans les quêtes secondaires que j’ai pu voir. Notamment celle qui se déroule dans un vieux cinéma où il faut diffuser plusieurs bobines et entrer littéralement à l’intérieur des films pour y accomplir certaines actions. Pour la petite histoire, aux rues historiques baptisées d’après des écrivains d’horreur vient désormais s’ajouter un « Brite Street » qui m’a fait sourire – sans parler du pénitencier Overlook et du quartier de Chastain Heights qui fleurent bon les clins d’œil à Stephen King.

http://i49.tinypic.com/1j9dh3.jpg

Silent Hill : Downpour me laisse le sentiment d’un jeu un peu hybride qui cherche un équilibre entre le respect des classiques d’origine (les innombrables heures passées à explorer des bâtiments déserts et à résoudre des énigmes, mon aspect préféré du jeu) et des innovations plus ou moins réussies (les incursions dans l’autre monde, les quêtes secondaires, la lampe torche UV qui permet de découvrir des indices). Et qui multiplie par moments les références à ses aînés, comme ce juke-box qui diffuse le thème à la mandoline du premier jeu lorsqu’on y introduit une pièce. De ce fait, Downpour n’est jamais répétitif et se montre même souvent remarquablement inventif. Et si la partie « normale » de la ville est sensiblement plus calme que dans les jeux précédents, il y a un vrai frisson à voir le décor se dissoudre sous nos yeux et à anticiper le basculement tant redouté dans l’autre monde. Le jeu, en tout cas, respecte pleinement l’esprit de la série dans son approche symbolique du fantastique – même si j’ai quelques doutes sur certains motifs récurrents qui ne me semblent pas justifiés à contrario par le déroulement de l’histoire. On y retrouve cette sensation particulière qu’offraient les premiers jeux, entre profond malaise et vrais moments d’émerveillement. Il y a dans les rues de Silent Hill une forme de poésie morbide que je crois bien n’avoir jamais croisée ailleurs. Et tout esprit critique mis à part, j’ai pris ici un plaisir de jeu quasiment équivalent à celui que m’avaient procuré les trois premiers. Pour une série dont je croyais ne plus rien devoir attendre, c’est déjà énorme.

 

Post navigation


Bal populaire à Silent Hill

Je dois la découverte musicale la plus inattendue de la semaine à mes amis Michelle et Claudio, traducteurs sudistes chez qui j’ai passé quelques jours en villégiature. Un groupe de bal populaire toulousain qui fait danser le public sur une base de danses classiques (mazurkas, scottish) aussi bien que de rondes et de farandoles : sur le papier, ce n’était pas trop ma came. Quelques morceaux écoutés sur disque ne m’avaient pas totalement convaincue. La surprise n’en fut que plus belle dimanche soir, où j’ai vu Bombes 2 Bal jouer en plein air dans le village médiéval de Castelnau-de-Montmiral. J’ai toujours une légère méfiance vis-à-vis des groupes qui cherchent à impliquer activement le public : ça peut très vite sonner faux et plomber un concert. Mais rien de ça ici. C’est un spectacle populaire dans le meilleur sens du terme : convivial, festif et chaleureux, avec une vraie qualité musicale pour soutenir le tout. Le groupe a une sacrée énergie, vraiment communicative, et l’une de leurs meilleures idées consiste à laisser un couple de danseurs évoluer dans le public tout au long du spectacle pour guider les pas de danse. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas facile à faire danser – non que je n’aime pas ça, mais il faut que je tombe sur la bonne musique au bon moment, et j’ai une sainte horreur des tubes des années 80 censés faire danser les foules. Mais ce bal populaire-là est franchement irrésistible (deux jours plus tard, mes mollets s’en ressentent encore douloureusement). Si vous voyez Bombes 2 Bal passer près de chez vous un de ces jours, foncez. Sans hésiter.

 

 

 

Quelques mots sur Silent Hill 3 pour poursuivre la saga, en attendant de recevoir The Room. Plus j’avance dans la série, plus je comprends pourquoi les fans parlent d’une mythologie interne au jeu. C’est particulièrement flagrant dans Silent Hill 3 qui fait directement suite au premier et continuer à développer le mythe d’Alessa Gillespie, cette fillette dotée de pouvoirs paranormaux, brûlée vive lors d’un rituel occulte orchestré par sa propre mère, puis plongée dans un cauchemar sans fin – une figure indissociable de l’histoire de la ville et de sa monstrueuse apparence. Si le début du jeu tranche avec les précédents, grâce à des décors différents (métro, centre commercial) et à un gameplay plus souple et moins répétitif, la dernière partie nous ramène sur les pas de Harry Mason, héros du premier jeu. Sa fille adoptive Heather, ayant progressivement découvert son histoire et accepté sa propre nature, refait en partie le chemin de son père, depuis un impressionnant combat contre le souvenir d’Alessa sur un inquiétant manège, jusqu’à l’exploration d’une sinistre chapelle où réapparaissent certains lieux mythiques du premier jeu : la chambre d’enfant d’Alessa avant le drame, mais aussi sa chambre d’hôpital. J’ai été frappée, dans cette dernière partie, par l’imagerie quasi christique associée à Alessa : les décors renvoient régulièrement aux images de son martyre, depuis les murs en flammes de la chapelle jusqu’aux fauteuils roulants et lits d’hôpital abandonnés dans les endroits les plus improbables. Sans parler de cette photo d’Alessa à sept ans, la première image que l’on découvrait dans le générique du premier Silent Hill et qui prend valeur d’icône à force d’apparaître dans le jeu. Si Silent Hill 3 souffre d’un scénario un peu long à se mettre en place et ne déploie toute sa richesse que dans la dernière partie, il se caractérise par une mise en scène inventive : dans la manière de filmer les combats (celui du manège est de toute beauté), mais aussi dans l’aspect visuel des lieux les plus cauchemardesques du jeu. Vers la toute fin, j’ai traversé plus d’une fois des pièces en courant tellement la vision des murs en train de se transformer et de se dissoudre à vue d’œil était oppressante. Une magnifique vision de l’enfer, mise en scène par une équipe qui considère le jeu vidéo comme un art à part entière plus que comme un simple divertissement (il suffit de regarder le making of disponible sur Youtube pour s’en convaincre).

 

Pour vous donner un aperçu de l’ambiance, voici une des scènes les plus marquantes du jeu, par son côté totalement improbable. Je l’ai vue reprise dans la bande-annonce de Silent Hill : Revelations, l’adaptation cinématographique du jeu qui sortira l’an prochain (avec notamment Malcolm McDowell dans le rôle de l’inquiétant Leonard Wolf). Et je me prends à rêver d’une adaptation qui bénéficierait cette fois d’un véritable scénario (quoique le travail nécessaire pour raccorder le scénario du premier film avec celui du troisième jeu relève du grand écart). Je reste persuadée qu’un grand film sur Silent Hill reste à faire.

 

 

 

 

Post navigation


Les démons de Silent Hill

Il va m’être très difficile de parler de Silent Hill 2 sans recourir aux superlatifs. C’est tout simplement l’un des jeux les plus impressionnants auxquels il m’ait été donné de jouer. J’avais déjà parlé ici il y a quelques mois de ma fascination de longue date pour Silent Hill, auquel je n’ai joué pour la première fois que tout récemment. Tout me soufflait que ce jeu-là serait mon jeu. L’expérience du premier épisode me l’avait confirmé, mais ce Silent Hill 2 me le prouve d’une toute autre manière.

 

 

Comme je l’ai donc déjà dit en ces lieux, toute personne s’intéressant au fantastique et à la mise en scène de la peur se doit d’explorer au moins une fois les rues de Silent Hill. Mais j’ajouterais que toute personne qui s’intéresse comme moi à la dimension psychanalytique du fantastique doit absolument jouer à Silent Hill 2. Je n’ai jamais vu de jeu qui creuse ce sillon-là de manière aussi habile, aussi subtile, et j’irais jusqu’à dire aussi courageuse : voilà un jeu qui sait faire confiance à l’intelligence du joueur et à sa capacité à lire entre les lignes. Le premier Silent Hill était déjà une expérience marquante et parfois dérangeante, mais il l’était de manière plus frontale. Dans Silent Hill 2, les moments les plus forts jouent finalement beaucoup sur les sous-entendus et sur une imagerie qui titille l’inconscient.

  

 

Dans ce deuxième épisode, on incarne un jeune veuf, James Sunderland, dont l’épouse Mary est morte de maladie trois ans plus tôt. James reçoit pourtant une lettre écrite par Mary, qui semble l’appeler à Silent Hill où ils avaient passé des vacances heureuses. Mais au lieu de la ville balnéaire tranquille de ses souvenirs, James trouve une ville déserte et délabrée, noyée dans la brume et peuplée de monstres informes. Il y rencontre des personnages tous plus paumés et torturés les uns que les autres, et notamment l’intrigante Maria, sosie absolu de Mary, qui insiste pour l’accompagner.

   

Le premier aspect fascinant de Silent Hill 2, c’est de ne pas être une suite directe du premier, et d’ouvrir ainsi la porte à pas mal d’interprétations. On croyait savoir plus ou moins à quel moment Silent Hill était devenue cette ville hantée – mais on redécouvre ici une ville différente, dont la géographie n’est plus la même, et qui ressemble à une projection de l’espace mental des personnages qui s’y égarent (ce qui n’est pas incompatible avec les hypothèses du premier jeu, mais là, c’est moi qui m’égare). Et c’est précisément là que le jeu frappe très fort. Plus qu’une intrigue linéaire, c’est une suite de thèmes que tisse le scénario. Un schéma se dégage en particulier : tous les personnages que l’on croise portent un fardeau, un lourd secret, ou ont un meurtre sur la conscience. Les messages que l’on découvre ça et là sur les murs ou dans l’hôpital renvoient à des histoires semblables. Et le monstre le plus marquant du jeu, resté pour pas mal de gens la figure emblématique de la série, est une créature terrifiante aux allures de bourreau, coiffé d’un casque métallique en forme de pyramide et armé d’un long couteau. Très vite, on s’interroge sur les raisons réelles qui rappellent James à Silent Hill. Comme si la ville et les gens et monstres qu’il y croise cherchaient à lui transmettre un message qu’il comprendra progressivement.

 

Par certains aspects, le scénario m’a rappelé Les Autres (en tout cas la façon dont j’avais perçu le film à la deuxième vision, où il prend un tout autre sens). Par d’autres, les ambiances de David Lynch – voir ce complexe d’appartements où l’on trouve une chambre vide envahie de papillons, et une autre où un cadavre regarde un téléviseur éteint – ou encore l’imagerie organique malsaine d’un Clive Barker. Une scène, à ce sujet, m’a particulièrement marquée. Chacun des personnages que l’on croise affronte ses propres démons ; pour l’un d’entre eux, il s’agit d’un inceste. Aux deux tiers du jeu, on affronte une créature représentant ce père incestueux. C’est peut-être la scène la plus dérangeante que j’aie jamais vue dans un jeu vidéo. Rien n’est dit ouvertement, mais tout ce qui est suggéré est extrêmement clair et fort. L’aspect visuel de ce monstre informe, mais aussi de la pièce aux murs quasi organiques percés de rangées de trous, ressemble à ce que pourrait être la symbolique de cet inceste vue dans un cauchemar dont on se réveille en sursaut sans bien comprendre pourquoi. Il y a quelque chose, dans cette scène et tout ce qu’elle suggère en peu d’effets, qui vous prend réellement aux tripes, comme un rêve qui va puiser très profondément dans votre inconscient. En comparaison, la dernière partie du jeu m’a presque paru fade, tant cette scène-là était puissante. Elle est d’ailleurs assez représentative de ce que Silent Hill 2 apporte par rapport à son prédécesseur : les monstres du premier jeu, chiens écorchés ou insectes géants, n’étaient pas toujours très convaincants, même s’ils s’inscrivaient dans une certaine logique (un imaginaire enfantin qui trouvait son explication dans l’intrigue). Ceux de Silent Hill 2 – créatures informes, mannequins sans tête constitués de deux paires de jambes – ont quelque chose de beaucoup plus suggestif et dérangeant, et semblent renvoyer indirectement aux démons (figurés, ceux-là) qui hantent James.

 

J’aurais pu parler aussi de la bande-son toujours aussi travaillée, presque un personnage à part entière : les bruits de fond distordus, les thèmes musicaux, le célèbre grésillement de la radio qui annonce l’approche des monstres… Tous ces sons qui représentent le pouls, la vie propre de cette ville fantôme. Si j’avais un reproche à formuler, ce serait le caractère assez répétitif du gameplay : trop d’allers-retours dans des couloirs pour aller chercher des clés ou des munitions, et certains passages évoquent un peu trop un copier/coller du premier épisode (les bâtiments à explorer – hôpital, hôtel, etc – se ressemblent trop). Et une autre remarque, plus personnelle celle-là : l’aspect que prend la Silent Hill parallèle est beaucoup moins terrifiant dans sa version nocturne que dans la version « métallique » du premier épisode : ne pas savoir pourquoi, soudain, la ville n’était plus composée que de grillages rouillés avait quelque chose de franchement effrayant. Mais ce sont des reproches mineurs au regard de la puissance et de l’intelligence du jeu dans son ensemble. Si vous aimez le fantastique aussi profondément que je l’aime, dans sa capacité à fouiller la psyché de personnages torturés et à créer une véritable poésie de l’effroi, je ne peux que vous conseiller de vous aventurer à Silent Hill. Je crois qu’ensuite, on n’en revient jamais vraiment. Quelques mois après avoir fini le premier jeu, son introduction, son thème musical et son intrigante première phrase continuent à me hanter.

  

 

En attendant d’explorer les autres jeux de la série, je m’apprête à revoir le film de Christophe Gans, adapté du premier épisode avec quelques emprunts au deuxième. Il m’avait déjà pas mal énervée quand je l’avais vu sans connaître les jeux, et je crois qu’une deuxième vision n’arrangera rien. Je sais que le scénario bancal me fera pester , je sais que je serai très énervée de voir Jodelle Ferland incarner aussi mal deux figures aussi essentielles – j’ai une fascination trop grande pour la figure tragique d’Alessa Gillespie pour supporter qu’on la transpose aussi mal à l’écran. Malgré tout, l’exercice m’intéresse, et je serai curieuse de revoir certaines scènes à présent que je sais d’où elles viennent (je pense notamment à une scène qui implique l’infirmière Lisa, un de mes personnages préférés du premier jeu).

 

Et ensuite, je reviendrai sans doute en reparler ici.

  

 

Post navigation

1 2